dimanche 13 octobre 2013


Chambre 2

Julie Bonnie

Belfond 2013


Prix du Roman Fnac 2013

☀ 


Avec ce premier roman, Julie Bonnie délivre dans un style fulgurant une vision très personnelle de la maternité et, plus généralement, de la vie et de la société.


Au départ, je n’étais guère attirée par ce livre. Mais compte tenu de la masse de commentaires élogieux que l’on rencontre à son sujet sur la blogosphère et dans la presse, j’ai finalement voulu savoir de quoi il retournait.

D’abord, il s’agit d’un livre très personnel tant par le ton que par son sujet, qui touche au plus intime des femmes. L’auteur nous y parle de maternité, puisque son héroïne est à la fois auxiliaire de puériculture dans un hôpital et mère elle-même, et de la capacité qu’un individu peut avoir - ou pas - à entrer dans les cadres sociaux communément admis.  

Dans une première vie, Béatrice menait une existence libre et nomade : avec son compagnon violoniste et une petite troupe d’artistes, elle sillonnait les routes d’Europe pour se produire sur scène, où elle dansait nue. La naissance de ses enfants n’a en rien modifié la vie de cette communauté, jusqu’au jour où les contrats ont commencé à se faire plus rares et où Béatrice s’est vu rattrapée par la nécessité d’assurer le minimum vital.

Après une formation, elle a donc fini par enfiler une blouse rose pour se glisser dans la peau d’auxiliaire de puériculture et devenir ainsi «normale».  

Aux antipodes de ce qu’elle avait jusqu’alors connu, son existence devient routine. Le rythme et l’organisation du travail sont parfaitement délimités. Elle fait l’expérience de la hiérarchie. Elle est là pour tenir un rôle, et non se comporter en individu ressentant des émotions, ayant un point de vue sur les situations auxquelles elle est confrontée, ayant ou non des affinités avec les femmes qui viennent d’accoucher ou avec ses collègues.
Alors Béatrice se sent comprimée dans sa blouse trop étroite pour contenir ses sentiments, ses indignations ou tout simplement les réflexions qu’elle s’interdit d’exprimer, puisqu’on attend uniquement d’elle qu’elle relaye les directives de l’hôpital et qu’elle exécute les gestes qui relèvent de sa fonction.

Au détour des portraits qu’elle dresse des femmes dont elle est amenée à s’occuper et dont les corps sont meurtris par leur récent accouchement, c’est la douleur de cette expérience que l’auteur nous relate dans un style percutant qui tantôt arrache un rire amer, tantôt inspire un sentiment de compassion.

Les jeunes accouchées qui se succèdent dans le service où elle travaille lui tendent autant de miroirs l’invitant à réfléchir sur sa propre condition de femme et, plus largement, sur celle de toutes les femmes. Comment devient-on mère ? Que se passe-t-il dans le corps et dans la tête d’une femme qui va ou qui vient de mettre au monde un enfant ? 
Selon Béatrice, nulle n’est préparée à ce bouleversement. On fait croire aux femmes que devenir mère est facile, naturel, spontané, alors que Béatrice rencontre le plus souvent de la souffrance et de la peur : peur de ne pas savoir s’y prendre, difficulté à allaiter, et surtout, peur de perdre son enfant, car vouloir donner la vie c’est envisager la possibilité de la mort.

Ce livre peut déranger, voire provoquer le rejet, tant le mythe de la jeune mère heureuse et épanouie y est mis à mal. 
Pour ma part, je trouve que ce livre a le mérite de pulvériser l’injonction de bonheur que subit toute mère et ce, dans un style personnel et alerte. Le récit de cette femme en souffrance est assez poignant et certains de ses aspects peuvent sans doute trouver un écho dans ce que nombre d’entre nous vivent au quotidien.
Mais il s’agit néanmoins d’une expérience singulière, qui met quasi exclusivement l’accent sur la douleur, sans nuance. Il faut le prendre pour ce qu’il est : le témoignage d’une femme en souffrance, avant tout parce qu’elle s’est vue imposer une vie qui ne correspondait en rien à ses aspirations et qui a ravagé son équilibre personnel et sa cellule familiale.

Un livre intéressant et parfois émouvant, mais qui demande à être lu avec un certain recul. A ne pas mettre entre les mains d’une femme enceinte ou qui vient tout juste d’accoucher ! 








2 commentaires:

  1. Je suis contente si j'ai pu (modestement) t'influencer à risquer cette lecture. Je n'avais pas pensé que ce livre n'était pas "à mettre entre toutes les mains" mais tu as sans doute raison : ce n'est pas le premier cadeau à offrir à une femme enceinte. Néanmoins, un tel témoignage, en pulvérisant (le terme que tu emploies est très juste) le mythe du bonheur permet aussi de relativiser les soucis qu'on peut rencontrer à la naissance d'un enfant. En ce sens le livre peut aussi constituer une aide.
    A l'autre bout de la vie, si je puis dire, il y a la situation des maisons de retraite. J'ai de quoi, depuis quelques semaines me lancer dans le sujet. Je n'ose pas encore mais j'y songe.

    RépondreSupprimer
  2. En effet, l'article de ton blog a été le déclic qui m'a permis de lire ce livre. C'est tout l'intérêt de ces plateformes d'échanges !
    Mais dois-je entendre que tu envisages de passer toi-même à l'écriture ? Une très belle nouvelle aventure en perspective...

    RépondreSupprimer