dimanche 27 octobre 2013


La garçonnière

Hélène Grémillon

Flammarion, 2013




Ce roman joue avec le lecteur, lui fait emprunter plusieurs voies avant de l'entraîner là où il ne s'attendait pas à aller...


Buenos Aires, 1987.
Un psychiatre rentre chez lui et découvre le cadavre de sa femme Lisandra, défenestrée.
Tandis que les Argentins portent les stigmates de la dictature, qui a pris fin quatre ans plus tôt, le docteur Vittorio Puig est arrêté et inculpé pour le meurtre de son épouse. Eva Maria, l’une de ses patientes, est seule à croire en son innocence. Elle va mener l’enquête pour tenter de découvrir le véritable assassin.

A force d’obstination, Eva Maria parvient à lever peu à peu le voile sur la personnalité de Lisandra, qui n’était peut-être pas si sage qu’il y paraissait au premier abord. Le docteur Puig aurait-il eu finalement des raisons de la supprimer ?

Hélène Grémillon mène son récit tambour battant. Elle nous entraîne sur différentes pistes, révélant en chemin les plaies encore à vif d’un peuple argentin traumatisé par la dictature. Le personnage d’Eva Maria en particulier est touchant. Elle ne s’est jamais remise de la disparition de sa fille de 15 ans, dans des conditions qu’on ne lui a même pas permis de connaître. Son enquête ravive la douleur qu’elle tente pourtant jour après jour de diluer dans l’alcool.

Ce livre se lit d’une traite, et les retournements de situation ne cessent de surprendre le lecteur, jusqu’au dénouement qui donne à mon avis tout son sens à l’incipit qui est repris en quatrième de couverture : les êtres humains sont les mêmes partout. Cette histoire aurait pu arriver n’importe où, n’importe quand. C'est peut-être cela qui peut désarçonner le lecteur et qui m'a, personnellement en tout cas, décontenancée : Hélène Grémillon m'a emmenée sur un terrain auquel je ne m'attendais pas du tout. A ce jour, je n'arrive toujours pas à savoir si c'est un tour de force ou une duperie... 
Quoi qu'il en soit, je me suis très facilement laissé embarquer par son récit, et ça c'est déjà une excellente chose !




vendredi 25 octobre 2013


Une matière inflammable


Marc Weitzmann

Stock, 2013






Un texte sans grâce et sans intérêt qu'il vaut mieux éviter.


Ayant reçu ce roman directement des Editions Stock dans le cadre d’une opération menée par Babelio, j’étais pleine de bonnes dispositions à son égard et souhaitais vivement l’apprécier pour pouvoir en faire une bonne critique... Hélas, je me suis bien vite aperçue du mauvais choix que j’avais fait et, n’était l’engagement que j’avais pris d’en faire une critique sur mon site, j’aurais rapidement interrompu ma lecture tant je m’ennuyais et avais le sentiment de perdre mon temps.

Je pense tout d’abord que ma curiosité pour ce livre est née d’un malentendu : un article lu ici ou là, sans doute trop rapidement - je parcours toujours un peu en diagonale les critiques de livres que je n’ai pas encore lus de peur qu’elles ne m’en révèlent trop ! - un article, donc, m’avait laissé croire que, s’inspirant librement de l’affaire DSK, Marc Weitzmann avait tracé le portrait d’un Rastignac contemporain se brûlant les ailes au contact d’une élite politique corrompue. Mais je croyais qu’il s’agissait d’une pure fiction, d’un texte qui transcendait la réalité pour y apporter un éclairage enrichissant, ce qui me semble être le propre de la littérature. Je ne m’attendais pas à voir les personnages d’Anne Sinclair et de son mari, entre autres, apparaître au sein du récit. Et très honnêtement, je ne trouve pas que tout ce qui a été révélé autour d’eux mérite qu’on y revienne. Insister sur une  personnalité telle que celle de DSK, c’est continuer à jeter le discrédit sur une classe politique qui n’a vraiment pas besoin de ça !
Par ailleurs, tous les personnages sont tellement froids et insensibles qu’à aucun moment je n’ai pu éprouver la moindre empathie avec qui ce soit. La bourgeoisie prétendument intellectuelle qui est présentée m’a personnellement semblé totalement dénuée d’intérêt. L’arrogance et le cynisme poussés à un tel degré provoquent plutôt chez moi l’envie de passer mon chemin...
Même la reconstitution d’une époque qui aurait pu me toucher, car étant celle de mon enfance, m’a laissée totalement froide.
Au final, rien qui ne m’ait ni convaincue ni séduite, et un livre que j’aurais bien du mal à recommander.

Heureusement, histoire de souffler, j’ai entrecoupé cette lecture de celle de La garçonnière, d’Hélène Grémillon... la critique bientôt sur votre blog préféré !





samedi 19 octobre 2013

L'autre côté des docks

Ivy Pochoda

Liana Levi, 2013


Traduit de l'américain par Adélaïde Pralon

☁ 


Le meilleur atout de ce roman réside sans doute dans sa jaquette particulièrement réussie, mais qui s'ouvre malheureusement sur un texte nettement moins convaincant. 



Autant il est facile de parler d’un roman qu’on a adoré ou d’un autre qu’on a détesté, autant il est difficile de commenter un livre qu’on a lu sans réel intérêt.

Je ne dirais pas que L’autre côté des docks est un mauvais roman : il n’est pas mal écrit, même s’il ne se distingue pas par la qualité de son style ; il y a des personnages  intéressants, mais qui ne sont pas suffisamment étoffés, et l’intrigue, assez sommaire,  n’est pas soutenue par une atmosphère qui se révélerait particulièrement envoûtante.

Bref, inutile de développer un long discours sur ce roman sans grande saveur qui aura tôt fait de s’effacer de ma mémoire. En espérant que le prochain livre sur ma pile en attente, Une matière inflammable, renouera avec la belle série initiée par Hugo Boris, Karine Tuil et Julie Bonnie !

dimanche 13 octobre 2013


Chambre 2

Julie Bonnie

Belfond 2013


Prix du Roman Fnac 2013

☀ 


Avec ce premier roman, Julie Bonnie délivre dans un style fulgurant une vision très personnelle de la maternité et, plus généralement, de la vie et de la société.


Au départ, je n’étais guère attirée par ce livre. Mais compte tenu de la masse de commentaires élogieux que l’on rencontre à son sujet sur la blogosphère et dans la presse, j’ai finalement voulu savoir de quoi il retournait.

D’abord, il s’agit d’un livre très personnel tant par le ton que par son sujet, qui touche au plus intime des femmes. L’auteur nous y parle de maternité, puisque son héroïne est à la fois auxiliaire de puériculture dans un hôpital et mère elle-même, et de la capacité qu’un individu peut avoir - ou pas - à entrer dans les cadres sociaux communément admis.  

Dans une première vie, Béatrice menait une existence libre et nomade : avec son compagnon violoniste et une petite troupe d’artistes, elle sillonnait les routes d’Europe pour se produire sur scène, où elle dansait nue. La naissance de ses enfants n’a en rien modifié la vie de cette communauté, jusqu’au jour où les contrats ont commencé à se faire plus rares et où Béatrice s’est vu rattrapée par la nécessité d’assurer le minimum vital.

Après une formation, elle a donc fini par enfiler une blouse rose pour se glisser dans la peau d’auxiliaire de puériculture et devenir ainsi «normale».  

Aux antipodes de ce qu’elle avait jusqu’alors connu, son existence devient routine. Le rythme et l’organisation du travail sont parfaitement délimités. Elle fait l’expérience de la hiérarchie. Elle est là pour tenir un rôle, et non se comporter en individu ressentant des émotions, ayant un point de vue sur les situations auxquelles elle est confrontée, ayant ou non des affinités avec les femmes qui viennent d’accoucher ou avec ses collègues.
Alors Béatrice se sent comprimée dans sa blouse trop étroite pour contenir ses sentiments, ses indignations ou tout simplement les réflexions qu’elle s’interdit d’exprimer, puisqu’on attend uniquement d’elle qu’elle relaye les directives de l’hôpital et qu’elle exécute les gestes qui relèvent de sa fonction.

Au détour des portraits qu’elle dresse des femmes dont elle est amenée à s’occuper et dont les corps sont meurtris par leur récent accouchement, c’est la douleur de cette expérience que l’auteur nous relate dans un style percutant qui tantôt arrache un rire amer, tantôt inspire un sentiment de compassion.

Les jeunes accouchées qui se succèdent dans le service où elle travaille lui tendent autant de miroirs l’invitant à réfléchir sur sa propre condition de femme et, plus largement, sur celle de toutes les femmes. Comment devient-on mère ? Que se passe-t-il dans le corps et dans la tête d’une femme qui va ou qui vient de mettre au monde un enfant ? 
Selon Béatrice, nulle n’est préparée à ce bouleversement. On fait croire aux femmes que devenir mère est facile, naturel, spontané, alors que Béatrice rencontre le plus souvent de la souffrance et de la peur : peur de ne pas savoir s’y prendre, difficulté à allaiter, et surtout, peur de perdre son enfant, car vouloir donner la vie c’est envisager la possibilité de la mort.

Ce livre peut déranger, voire provoquer le rejet, tant le mythe de la jeune mère heureuse et épanouie y est mis à mal. 
Pour ma part, je trouve que ce livre a le mérite de pulvériser l’injonction de bonheur que subit toute mère et ce, dans un style personnel et alerte. Le récit de cette femme en souffrance est assez poignant et certains de ses aspects peuvent sans doute trouver un écho dans ce que nombre d’entre nous vivent au quotidien.
Mais il s’agit néanmoins d’une expérience singulière, qui met quasi exclusivement l’accent sur la douleur, sans nuance. Il faut le prendre pour ce qu’il est : le témoignage d’une femme en souffrance, avant tout parce qu’elle s’est vue imposer une vie qui ne correspondait en rien à ses aspirations et qui a ravagé son équilibre personnel et sa cellule familiale.

Un livre intéressant et parfois émouvant, mais qui demande à être lu avec un certain recul. A ne pas mettre entre les mains d’une femme enceinte ou qui vient tout juste d’accoucher ! 








samedi 5 octobre 2013

L'invention de nos vies


Karine Tuil

Grasset 2013

☀ ☀  

Avec une écriture débordante de vitalité, Karine Tuil jette un regard sans concession sur notre société et signe un roman jouissif.


Passer de l’écriture finement ciselée d’Hugo Boris à celle foisonnante et échevelée de Karine Tuil, on peut dire que c’est faire l’expérience de deux univers radicalement différents, voire de changer carrément d'unité spacio-temporelle ! Mais c’est précisément cela que j’aime en littérature : passer sans transition d’une histoire, d’un style, d’un genre à un autre... et ressentir un égal bonheur.

J’avoue que j’étais assez intriguée par L’invention de nos vies. J’en avais lu quelques courts passages en l’ouvrant au hasard en librairie, et j’avais été plutôt séduite. Ne connaissant pour ainsi dire rien de son auteur et au vu du sujet, je redoutais néanmoins de découvrir sous couvert de roman une verbeuse démonstration à caractère politico-social. 

La lecture des premières pages m’a favorablement surprise.
Là où je craignais de trouver un texte brouillon, j’ai découvert des personnages bien campés et une intrigue solidement maîtrisée. Et malgré quelques pages qui gagneraient à être un peu plus dans la nuance et moins dans la démonstration, j’ai dévoré ce livre comme je l’aurais fait d’un roman policier.

De quoi Karine Tuil nous parle-t-elle ? La réponse est simple : de déterminismes sociaux.   Comment trouver une place dans la société lorsqu’on est issu d’une minorité ethnique ou d’une banlieue défavorisée, voire les deux à la fois.

Pour l’un des trois héros de son roman, la réponse est claire : pour «réussir», il faut cacher ses origines. Samir Tahar, en dépit d’un admirable parcours universitaire, n’est parvenu à décrocher aucun entretien d’embauche, jusqu’au jour où il décide d’escamoter son nom en retirant tout simplement les deux lettres finales de son prénom : désormais il ne s’appellera plus Samir, mais Sam. 
A partir de ce moment, sa vie va changer. Derrière ce prénom court et si simple, chacun met ce qu’il veut. C’est ainsi que, pris pour un juif - Sam pouvant être le diminutif de Samuel - il va taire son identité, emprunter celle d’un homme qui fut autrefois son ami, et tourner le dos à sa famille et à sa vie passée.

Par ce mensonge par omission - il se garde d’affirmer quoi que ce soit, mais prend bien soin de ne pas détromper ses interlocuteurs - il parvient à se hisser au sommet de l’échelle sociale. Il mène aux Etats-Unis une brillante carrière d’avocat qui lui permet d’épouser la fille de l’une des plus grosses fortunes du pays, intégrant ainsi définitivement la communauté juive américaine.
Sans vouloir révéler le dénouement, on peut toutefois dire que ce mensonge qui le mène au firmament sera aussi la cause de sa chute vertigineuse. 

Le propos est à bien des égards assez caricatural. D’autant que l’on n'échappe pas à d’autres clichés : l’ami auquel Samir emprunte son histoire s’appelle Samuel Baron. Etudiants, ils ont été amoureux de la même femme, la sublime Nina, qui n’a choisi Samuel que par faiblesse, parce qu’il menaçait de se suicider. Or, Samuel se rêve écrivain. Mais ses manuscrits sont invariablement refusés par les éditeurs, au point qu’il finit par renoncer à envoyer ses textes, puis à écrire. Ce n’est que lorsque Nina le quitte que la douleur qu’il en ressent lui permet à nouveau d’écrire pour, enfin, connaître le succès.
Le fameux mythe de la souffrance, implacable muse du créateur...

Malgré ces défauts, Karine Tuil réussit un livre brillant.
Son talent réside dans sa capacité à construire une intrigue d’une impeccable efficacité en articulant les destins individuels avec le contexte socio-historique. Les personnages sont rattrapés par des événements qui les dépassent et qui les ramènent inexorablement vers leurs origines.

L’auteur semble nous dire qu’il est vain et destructeur de vouloir échapper à ce que l’on est. Il serait plus opportun de s’émanciper de la pression sociale, de la nécessité de réussir et du désir effréné de reconnaissance pour trouver le bonheur.

On peut penser ce que l’on veut de ce message. Il n’en reste pas moins que Karine Tuil pose un regard pertinent et cru sur notre société, et signe un roman personnel et haletant qu’elle maîtrise de bout en bout.