samedi 30 novembre 2013

Quand nous étions révolutionnaires

Roberto Ampuero

JC Lattès, 2013


Roman traduit de l'espagnol par Anne Plantagenet


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Avec ce texte, l'auteur nous livre un témoignage sincère, loin de toute caricature, sur la perte des illusions révolutionnaires.


Ce livre nous emmène tout droit à Cuba, au début des années 1970. Le héros de ce roman largement autobiographique est un jeune Chilien âgé d’une vingtaine d’années. Militant communiste, il se voit contraint de fuir son pays au lendemain du putsch de Pinochet. Animé par l’ardent désir de voir le socialisme triompher en Amérique latine, il se réfugie en RDA où il souhaite étudier.
C’est à Leipzig, à la Karl Marx Universität qu’il lit Marx et Lénine, et c’est là surtout qu’il tombe amoureux d’une certaine Margarita, la fille du commandant Ulises Cienfuegos, l’un des compagnons de route de Fidel Castro. Voilà comment il se retrouve à La Havane, le coeur gonflé d’amour et la tête pleine d’un idéal révolutionnaire.

Hélas, on s’en doute, ce qui nous est conté, c’est la façon dont, confronté à la réalité de la vie des Cubains - avec son lot de manque de nourriture, de privation de liberté, de censure - ce Chilien va perdre peu à peu toutes ses illusions.

Ce qui est particulièrement intéressant dans ce livre, c’est que l’on suit le cheminement  psychologique d’un homme. Il est au départ animé d’une telle foi en la Révolution et en l’idéal socialiste qu’en dépit de ce qu’il découvre en RDA, puis à Cuba, il peine à accepter cette réalité. Il cherche longtemps des explications, des justifications pour ne pas voir s’écrouler ce qui donne un sens à sa vie. Ainsi, si le régime de la RDA n’est pas bénéfique pour son peuple, c’est parce que celui-ci n’en a pas été l’acteur, mais qu’il lui a été imposé par les Russes ; l’intransigeance de Fidèle Castro trouve quant à elle sa raison d’être dans le combat sans merci que se livrent le socialisme et les dictatures d’extrême-droite souvent soutenues par les Américains. 
Mais la faim, la privation de liberté, les privilèges accordés à une caste dirigeante finiront par avoir raison de ces utopies.  

Ce livre est convaincant car il ne s’agit pas d’une condamnation d’emblée du régime, mais  avant tout d’une tranche de vie qui s’ancre dans un contexte historique. Les personnages jouent leur vie et l’on comprend comment ont pu naître certains espoirs. Enfin, comme le mentionne la quatrième de couverture, tout cela est exprimé « avec esprit, entre mélancolie et humour ».


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samedi 16 novembre 2013


Ainsi résonne l’écho infini des montagnes

Khaled Hosseini

Belfond 2013


Traduit de l'américain par Valérie Bourgeois
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Installez-vous confortablement, éteignez votre téléphone et laissez-vous emporter par cet émouvant récit. 


Si vous aimez que l’on vous raconte une belle histoire ; si vous aimez les récits au souffle épique qui vous font voyager d’un continent à un autre ; si vous aimez accompagner des personnages de l’aube de leur existence jusqu’à leurs derniers jours ; si vous aimez les héros faits de chair et de sang dont les destinées s’entremêlent, alors vous adorerez ce roman !

Nous sommes en Afghanistan, dans un petit village, au début des années 50 ; une fillette de 3 ans dénommée Pari et son frère Abdullah, 10 ans, vivent dans un profond dénuement avec leur père et sa seconde épouse - leur mère étant morte en couches -, ainsi que leur jeune demi-frère. Mais la relation qui unit Pari et Abdullah les comble d’un bonheur que rien ne saurait altérer... si ce n’est de se voir un jour séparés.
Vous l’aurez deviné, c’est précisément ce qui arrive. Mais n’ayez crainte, je ne vous déflore rien, puisque cet événement intervient dès les premières pages du livre !
C’est cette petite Pari l’héroïne du roman que l’on va suivre, à laquelle on s’attache immédiatement et dont on espère qu’elle parviendra un jour à renouer avec ses origines.   

Le livre s’ouvre sur une fable dont l’écho va résonner tout au long du roman : un père se voit contraint de désigner l’un de ses enfants pour l’offrir à un ogre, afin que celui-ci ne massacre pas l’ensemble de sa famille. Le sort désigne l’enfant qu’il chérit le plus. Inconsolable, ce père finit par partir à la recherche du monstre pour se faire justice. Parvenu dans sa forteresse, il découvre que son fils y coule des jours heureux en compagnie de tous les autres enfants sacrifiés avant lui. L’ogre lui propose alors le choix suivant : soit il rentre chez lui avec son fils, qui retrouvera alors l’existence misérable et sans espoir qui devait être la sienne, soit il repart seul, permettant à son fils de se tourner vers un avenir plein de promesses. Pour la deuxième fois, cet homme est amené à prendre une décision qui, dans tous les cas, lui infligera de la douleur.

C’est un dilemme comparable que connaîtront tour à tour les différents protagonistes du roman dont les chemins vont se croiser. 
Quelle voie emprunter pour construire sa vie ? Est-il nécessaire de sacrifier le présent pour garantir l’avenir, au risque de provoquer des blessures intimes irréparables ? Quelle est la nature du lien qui unit parents et enfants ? Comment se manifeste l’amour parental : dans la volonté de retenir ses enfants auprès de soi, dans un environnement soigneusement défini, ou en les encourageant au contraire à trouver leur propre voie ? Les enfants peuvent-ils - et doivent-ils -  combler les failles de leurs parents ? Quel lien entretenir avec ses racines ? Jusqu’à quel point a-t-on besoin de les connaître ? Nous aident-elles à nous construire ou, au contraire, nous enferment-elles?

Tous ces thèmes sont abordés avec une immense sensibilité, au travers de personnages  extrêmement attachants auxquels Hosseini sait donner de l’épaisseur.

Si la structure narrative est assez classique, avec des personnages dont les chemins se croisent et qui assument à tour de rôle la prise en charge du récit pour y apporter un éclairage différent, Hosseini est un orfèvre en la matière. La construction est impeccable et l’émotion toujours présente. Le cœur du lecteur bat au rythme de celui des personnages  et se serre en plus d’une occasion. 

A n’en pas douter, ce magnifique récit vous transportera.
A l’arrivée de l’hiver, voici une excellente raison de rester bien au chaud à la maison !


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vendredi 8 novembre 2013


Les cent derniers jours

Patrick McGuinness

Grasset, 2013


Traduit de l'anglais par Karine Lalechère

Prix du Premier roman étranger 2013




Ce roman nous entraîne dans un monde aux allures totalement surréalistes qui, malgré tout ce que l'on sait des régimes de l'ex-bloc de l'Est, ne cesse de nous éberluer.  


Au moment de parler de ce roman, il m’apparaît bien difficile de le caractériser en quelques mots. Mais si je devais le faire, alors je dirais sans doute qu’il s’agit avant tout du portrait d’une ville, une ville meurtrie, martyrisée par un régime d’une totale incurie.
C’est une plongée dans un Bucarest désolé qui nous est proposée, un voyage de quelque cent jours qui précédèrent la chute de Ceausescu.

Les premières pages de ce livre sont une véritable réussite. L’auteur installe d’emblée une atmosphère. Bucarest y est vu à travers les yeux d’un jeune Anglais fraîchement débarqué pour enseigner sa langue, après avoir décroché à l’université un poste pour lequel il n’a ni postulé ni pris la peine de se rendre à l’entretien d’embauche. Le décor est planté ! Bienvenu dans le règne de l’arbitraire et de l’absurde !

Dès son arrivée, le jeune homme se lie avec un certain Léo, véritable as de la débrouille, trafiquant en tout genre au marché noir, qui va lui servir de guide dans cette ville aux allures fantasmagoriques. 
Léo a une marotte : il écrit un livre sur la capitale. Plus celle-ci s’efface sous les coups de   boutoir des pelleteuses déployées sous l’impulsion du Camarade pressé de raser le passé pour construire un «avenir radieux», plus Léo s’efforce d’en consigner le souvenir dans ses cahiers. Mais la tâche est rude et Léo a du mal à suivre: «En huit ans, il avait vu démolir près d’un quart de la vieille ville». 
A suivre les déambulations des deux personnages, on découvre la photo d’une cité où à un lacis de ruelles tortueuses et à de vénérables églises se superposent de larges avenues rectilignes aux noms évocateurs, telle l’avenue de la Victoire-du-Socialisme, et de sordides tours d’habitation.
Evidemment, on découvre les queues à n’en plus finir devant des magasins quasi-vides, ou ne vendant qu’un seul article dont les gens prétendant les acheter ne connaissent même pas la nature. Mais tout est bon à prendre, car pourra toujours être revendu au marché noir... 
On pénètre dans des hôpitaux sombres et sous-équipés, où exercent des médecins désabusés.
Certaines scènes ubuesques pourraient prêter à rire, si elles ne révélaient le douloureux quotidien de tout une population : les habitants d’un quartier profitant du retour du courant pour prendre leur douche au milieu de la nuit ; les rendez-vous manqués parce que les lieux ont tellement changé que personne ne connaît la rue où l’on veut se rendre... 
Sans parler des dogmes proprement hallucinants qui régissent jusqu’à la part la plus intime de la vie des individus.

Au terme de cette immersion, comme le laisse présager le titre, on assiste à la chute du régime, au «procès» et à l’exécution du couple Ceausescu. C’est assez troublant, pour qui se souvient de ces images diffusées en boucle, de revoir à froid, par le biais de la littérature, cet épisode qui traduisait à lui seul le profond bouleversement qu’étaient en train de connaître les équilibres mondiaux.

L’auteur, Patrick McGuinness, traduit parfaitement la perte de tous les repères, tant matériels que psychologiques, qu’ont vécu les populations ayant subi le joug des régimes communistes. Il évoque sans pathos, voire avec un sens de la formule non dénué d’humour, la méfiance généralisée, la pénurie de tous les biens de consommation, la surveillance constante et omniprésente, la résignation, l’ennui... Tout cela est extrêmement bien rendu.
Toutefois, si McGuinness insiste, à raison, sur l’incommensurable absurdité de ce système, il en oublie de rendre aussi sa cruauté. L’accent est mis surtout sur l’arbitraire, peu sur le régime de terreur sur lequel était assis le pouvoir. A lire ce roman, on perçoit plutôt faiblement la souffrance physique de ceux qui ont subi la torture - à laquelle il n’est fait allusion que dans les dernières pages. Quant à la douleur de ceux qui ont vu disparaître des êtres chers et à l’angoisse permanente d’être arrêté, elles ne paraissent pas aussi prégnantes qu’elles ont pourtant dû l’être. Il me semble que le roman aurait gagné en puissance s’il avait davantage insisté sur ces points.
Peut-être est-ce la raison pour laquelle ce roman m’a paru un peu long. Après un démarrage très convaincant, il s’essouffle un peu avant de se clore sur un final réussi. Mais à aucun moment je n’ai voulu l’abandonner et, en dépit de ces réserves, j’ai apprécié ce tableau de la capitale roumaine et de ses habitants. J’ai beaucoup aimé également le style de l’auteur qui, avec de surprenants rapprochements, l’emploi de formules enlevées et des dialogues bien menés, sert parfaitement le récit. 

Ah ! Un bémol, indépendant de la volonté de l’auteur : dommage que le livre ait été trop rapidement relu. Coquilles et mots oubliés ne servent jamais un texte ! A bon entendeur...


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