dimanche 5 octobre 2014

Le bonhomme Pons

Bertrand Leclair

Belfond, 2014


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Un texte vraiment étonnant, qui s'adressera tout particulièrement aux amateurs de littérature française du XIXe siècle.

Je viens de faire une fort étonnante - mais aussi fort réjouissante - expérience littéraire !
Les éditions Belfond viennent en effet de lancer une toute nouvelle collection, judicieusement intitulée « remake », inspirée d’une pratique cinématographique courante consistant à donner une nouvelle version d’une œuvre du passé.
J’avoue que l’adaptation de ce concept m’a intriguée. Ayant longtemps été une grande lectrice des auteurs français du XIXe siècle, et notamment de Balzac, mon attention a été inévitablement attirée par Le bonhomme Pons.

Et là, phénomène étrange, les longues descriptions, les digressions, rebutantes pour certains lecteurs et que, pour ma part, je n’avais jamais ressenties comme telles, ni même vraiment perçues chez Zola, Flaubert ou donc Balzac - sans doute parce qu’ils étaient les seuls auteurs que je fréquentais dans mon adolescence et que ces commentaires de nature historique ou sociologique, voire philosophique me paraissaient tout à fait naturels -, et bien ces structures narratives auxquelles je ne suis plus du tout habituées aujourd’hui me sont soudain apparues comme une manière très particulière, évidemment fortement ancrées dans leur époque. Cela peut paraître évident. Mais il me fallait sans doute ce recul donné par des années de lectures différentes, contemporaines, pour le percevoir avec autant de netteté. Toutefois je m’empresse de préciser que j’ai adoré les retrouver !

Il faut dire que Bertrand Leclair excelle à se couler dans le style balzacien. N’était-ce l’objet de son récit, qui nous rappelle sans cesse qu’il nous parle d’un homme et de la société d’aujourd’hui, on pourrait par moment vraiment croire que c’est Balzac lui-même qui a écrit certaines phrases !
Et c’est là que réside le deuxième effet troublant de ce livre : on se trouve exactement dans la même position qu’un lecteur du XIXe siècle qui lisait l’un des auteurs cités plus haut. Car quels que soit l’enthousiasme, l’admiration, l’émotion que j’ai pu avoir - et que tout autre lecteur d’aujourd’hui puisse ressentir - à leur lecture, on est en décalage ; la réalité qui est dépeinte n’est pas la nôtre ; on ne saisit pas toutes les allusions, on ne connaît pas toutes les personnalités impliquées, les lieux ont changé, les vêtements, les pratiques, les modes de transports, les métiers ont évolué... Tout cela a un caractère historique, daté.
Quand on lit du Balzac sous la plume de Leclair, on est dans notre univers. Qu’il évoque les pages du supplément « Argent » du Monde, l’affaire Courroye, les communautés des années flower power ou encore l’invasion par les bobo de la rue Saint-Blaise dans le XXe arrondissement de Paris, tout cela fait écho à un monde qui dépasse largement les pages du roman, à notre monde. Notre lecture se nourrit alors de notre propre perception des événements ou des éléments mentionnés. Et cette dimension-là, bien évidemment, je n’ai pas pu en faire l’expérience lorsque je dévorais toutes ces oeuvres que j’ai tant appréciées.

Il existe néanmoins un trait d’union entre le XIXe siècle de Balzac et le XXIe de Leclair : il s’agit des thèmes traités. Ce qui est dit, dans les deux cas, c’est l’insolence des possédants, la marchandisation de l’art, la pauvreté des esprits bornés à la seule valorisation financière des productions humaines. Les vices que relevaient Balzac, loin d’avoir disparu, sont aujourd’hui poussés à leur indécente extrémité...

Avec quelques années d’écart, cette lecture surprenante me permet de poser un regard différent sur mes lectures de jeunesse, de les réévaluer, et c’est aussi inattendu que troublant et passionnant !

Et la bonne nouvelle, c’est qu’il existe un remake de Bouvard et Pécuchet dans la même collection...


Retrouvez ici les traces des ateliers et conférences qui ont rythmé le travail de l’auteur à la Maison de Balzac.

Retrouvez ici une illustration du style balzacien brillamment actualisé par Leclair

4 commentaires:

  1. J'ai lu quelques romans de Balzac dans ma jeunesse, ils ne m'ont pas particulièrement marquée. L'expérience est intéressante, je serais assez tentée d'essayer.

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    1. Si effectivement tu le lis, je serais curieuse de connaître ton avis ! Pour moi, ça a vraiment été une expérience de lecture unique.

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  2. Réponses
    1. En littérature, oui... mais courante au cinéma. Je ne sais pas si ça fonctionne à tous les coups, mais là ce fut une très bonne surprise !

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