jeudi 27 février 2014


Roma enigma

Gilda Piersanti

Pocket, 2013


☁ 

Si vous cherchez un bon polar, frappez à une autre porte !

Je n’irai pas par quatre chemins : je n’ai pas aimé ce livre. Enfin, pas aimé, n’exagérons rien. Je l’ai lu très facilement et sans difficulté ni réel ennui.
Mais disons que c’est le type de lecture dont il ne me restera très vite plus rien. Je n’ai pas trouvé les personnages convaincants du tout. Ni le jeune meurtrier, qui fait tout pour se faire repérer et qui n’a selon moi aucune épaisseur psychologique, ni l’inspecteur De Luca qui se fait avoir comme une bleue (en ce qui concerne les soubresauts de sa vie personnelle qui sont simplement suggérés, sans jamais être développés, on pourrait fort bien s’en passer, car ils n’apportent strictement rien au récit), ni la mère de la victime, d’une inconsistance totale. Quant au «portrait saisissant de la société italienne d’aujourd’hui» qui nous est promis en quatrième de couverture, je le cherche toujours ! Bref, pour moi, c’est un texte sans aucune profondeur.
Seule consolation : il était très court ! 
Au suivant.

samedi 22 février 2014


Jaguar

Hector Tobar

Belfond, 2014


Roman traduit de l'américain par Pierre Furlan

☀ 


A travers l'histoire d'une vengeance, Tobar brosse les portraits croisés d'un homme ordinaire devenu un servile meurtrier à la solde du régime en place, et d'un exilé ayant fui son pays à la suite de l'assassinat de sa famille.

L’Amérique latine nous offre un nouveau roman riche et intéressant sur la dictature, sujet récurrent chez les auteurs issus de ce continent, tant celui-ci a souffert des nombreuses juntes militaires qui s’y sont succédé. 
Cette fois, l’action se passe pour partie à Los Angeles, où s’est réfugié le héros après le sauvage assassinat de sa femme et de son fils, et au Guatemala, pays d’origine des parents de l’auteur. 

Le roman s’ouvre à Los Angeles, où l’on découvre Antonio sur le point de devenir SDF,  ayant perdu son emploi d’aide-serveur, alors qu’il était dans son pays un brillant étudiant dirigeant une revue littéraire.
Par la construction du récit incluant de nombreux flashbacks, on apprend peu à peu qu’Elena a été tuée par une milice paramilitaire en raison de ses engagements politiques. Antonio a par chance pu en réchapper, contrairement à leur fils de deux ans, qui a subi le même sort que sa mère. En prenant la fuite, Antonio a juste le temps d’apercevoir l’auteur de ces exactions: son visage et le jaguar tatoué sur son bras resteront gravés dans sa mémoire.  
Lorsque, plusieurs années plus tard, le hasard met Antonio en présence de l’homme au tatouage dans un parc de Los Angeles, où celui-ci a également élu domicile, naît aussitôt en lui une soif de vengeance et de justice au nom de sa propre famille, mais également de tous les innocents - femmes, hommes, enfants - qui ont été ses victimes.

Le roman alterne habilement les points de vue, celui d’Antonio, intellectuel révulsé par la sauvagerie aveugle des actes commis dans son pays et celui de Guillermo Longoria, paysan enrôlé de force dans l’armée alors qu’il était encore presque un enfant et qui a été «dressé» à éradiquer tout prétendu germe de subversion et de désordre.

Bien sûr, Tobar ne nous épargne pas quelques inévitables scènes de violence, mais sans  s’étendre dessus. En revanche, les pensées et «raisonnements» de Longoria sont parfaitement rendus, et Tobar nous permet ainsi de comprendre comment s’y prend un régime pour amener les hommes les plus frustes à exécuter froidement n’importe qui, y compris des enfants. Le tout sur une trame romanesque parfaitement construite, sur fond d’émeute des minorités ethniques.


mercredi 12 février 2014

Rien de personnel

Agathe Colombier Hochberg

Fleuve éditions, 2014



L'auteur nous entraîne dans une histoire pleine de sensibilité bien menée, qui se laisse lire sans déplaisir. Un agréable roman de vacances.

Elsa, 40 ans, historienne, annonce à son entourage qu’elle veut écrire la biographie de Vera Miller, une star du grand écran. Son éditeur et ami s’en étonne : sa spécialité est plutôt le XVIIe siècle... Ce qu’il ne sait pas, c’est que la comédienne n’est autre que la propre mère d’Elsa, confiée dès sa naissance aux bons soins de son père, Vera ayant rompu avec ce dernier quelques mois auparavant. A l’aube de sa carrière, la toute jeune femme alors âgée de 17 ans avait caché sa grossesse et accouché dans le plus grand secret. Si Elsa n’ignore rien de ses origines, celles-ci n’ont jamais filtré au-delà du cercle familial le plus restreint.
Tel est le point de départ plutôt prometteur de cette histoire, et c’est donc à la quête d’une femme en proie à un douloureux sentiment d’abandon, cherchant des réponses à ses questions, qu’il nous est permis d’assister.

Si le roman se lit très facilement, si l’on ne s’ennuie jamais, on reste néanmoins un peu sur sa faim : les thématiques de l’attachement maternel, de l’identité, des racines auraient mérité plus de profondeur que n’en a ce texte qui n’offre rien de plus qu’un agréable moment de lecture... Ce n’est déjà pas si mal !

dimanche 2 février 2014

La petite communiste qui ne souriait jamais

Lola Lafont

Actes Sud, 2014

Prix de la Closerie des lilas 2014
Prix Ouest France Etonnants voyageurs 2014
Grand prix de l'héroïne Madame Figaro 2014


Derrière cette couverture solaire se cache un roman qui ne l'est pas moins, qui distribue des coups de poing tout en faisant preuve d'une émouvante tendresse à l'égard de son héroïne.

Voici un livre intense, riche et intelligent !

La petite communiste dont il est question est Nadia Comaneci, que quiconque étant déjà de ce monde dans les années 70 connaît, même s’il ne s’intéressait pas particulièrement à la gymnastique et s’il était alors bien jeune, ce qui est mon cas. J’avais en effet 5-6 ans lorsque la Roumaine triompha aux Jeux Olympiques de Montréal, mais son nom plus que familier demeure confusément associé à un talent unique et exceptionnel.
Pour autant, allais-je trouver de l'intérêt à lire une biographie, même romancée, de cette athlète? Si vous-même vous posez cette question, je vous réponds sans hésitation: oui, mille fois oui !

Car il ne s’agit pas d’une simple biographie. Je serais même tentée de dire qu’il ne s’agit pas du tout de cela. Au-delà du parcours mythique d’une jeune gymnaste, ce que Lola Lafon essaie d’appréhender, c’est la perfection, son existence et les réactions que celle-ci suscite. En revoyant, grâce à Internet, les prestations de cette petite fille, on ne peut qu'être frappé par l’agilité, la rapidité, la précision et la grâce du mouvement. C’est la première fois que l’on voyait une telle maîtrise dans l’exécution de figures parfois inédites.
Lola Lafon ouvre son roman sur la réaction de stupeur et la confusion que cette parfaite technicité a engendrées. Le public et le jury s’interrogent : ont-t-il bien vu ? Les machines permettant l’affichage des notes obtenues s’en trouvent elles-mêmes déréglées. Au lieu d’afficher le premier «perfect ten» de l’histoire olympique, c’est un 1,00 qui apparaît semant encore un peu plus de confusion : les concepteurs n’avaient pas prévu la possibilité de cette note parfaite qui, leur avait-on assuré, n’existait pas...
C’est donc tout d’abord cette forme de perfection que l’auteur s’efforce de circonscrire, en mettant des mots, et de fort beaux, sur ce qui laisse pourtant sans voix.

Bien sûr on demande aussitôt des explications: comment un tel miracle est-il possible ? Lola Lafon, qui s’est amplement documentée, relate la phénoménale force de caractère de cette enfant, dont le talent a pu se développer grâce à un système d’entraînement à nul autre comparable.
Et c’est là que le livre prend une dimension supplémentaire tout à fait passionnante. En effet, cette petite a, aussitôt repérée, été amenée à s’entraîner sans relâche pour repousser toujours plus loin ses limites. On nous décrit une discipline de fer, des heures et des heures de travail, une hygiène alimentaire impitoyable, une complète abnégation, tout cela au service de la promotion d’un régime tyrannique et totalitaire.

Mais ça, c’est le regard que l’on pose aujourd’hui ! Or ce qui est littéralement ahurissant à la lecture de ce roman, c’est de découvrir les comportements des chefs d’Etat, des éditorialistes de presse et, finalement, de la population occidentale en général qui crevaient littéralement d’admiration, de curiosité et d’envie pour ce phénomène. Si Ceaucescu a pu si bien se servir de ce petit bout de femme, c’est bien parce qu’on ne lui demandait pas autre chose !
Peut-on imaginer aujourd’hui que ce dirigeant sanguinaire ait pu être pressenti pour recevoir le prix Nobel de la Paix ? Peut-on imaginer les dirigeants de nos démocraties être amicalement reçus par lui en demandant à voir un entraînement de «Nadia» ? Peut-on imaginer en pleine Guerre froide une star de la télévision américaine venir à Bucarest pour faire une émission spéciale sur la jeune femme, faisant au passage la promotion d'une Roumanie joyeuse ? Peut-on encore imaginer lire, en 1971, sous la plume d’un journaliste du Figaro : «Tel est l’homme. Tel est le dirigeant politique qui n’accepte d’honneurs que celui de conduire son peuple, comme Moïse, dans la terre promise de la prospérité et de l’indépendance.» ? Qu’importe quelques compromissions, the show must go on et le public en redemande...

Allant plus loin encore, le roman montre comment les pays de l’Ouest ont à la première occasion récupéré les entraîneurs de l’Est, fermant alors les yeux sur les excès de leurs méthodes, pour les appliquer à leurs propres petites filles, et tenter de rafler enfin les médailles tant convoitées.
D’autant que l’adorable idole qui virevoletait hier avec grâce est aujourd’hui devenue une jeune femme. En deux ou trois ans, le corps de Nadia a évolué, a pris des formes, n’a plus tout à fait la même agilité. Lorsqu’elle revient aux JO suivants, on ne lui pardonne pas de ne plus se conformer à l’image qu’elle avait donnée d’elle-même. Les mots sont très durs à son égard, et il faut créer de nouvelles idoles à adorer.
Renvoyant dos à dos communisme et capitalisme ultralibéral, Lola Lafon, qui a elle-même vécu une partie de son enfance en Roumanie, refuse ce tableau simpliste et réducteur d’un pays uniformément gris et triste. Sans en minimiser les dramatiques événements ni les innombrables privations, elle s’interroge simplement: que l’on vende un régime ou des produits, quelle différence finalement pour l’individu qui doit coûte que coûte remporter des victoires pour donner de la visibilité à celui qui lui donne les moyens de s’entraîner ?

Quant à Nadia, il reste le portrait émouvant et tendre d’une jeune fille à la trempe exceptionnelle qui sut tant bien que mal résister à la tourmente médiatico-politique et jouer de ce qui lui était offert pour parvenir à atteindre des objectifs d’excellence qui n’appartenaient qu’à elle.


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