mardi 22 juillet 2014

Dieu me déteste

Hollis Seamon

Anne Carrière/La belle colère, 2014


Traduit de l'américain par Marie de Prémonville

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Une histoire poignante traitée sans atermoiements, avec une grande élégance.

Je suis particulièrement heureuse de présenter ce livre. Et pourtant, je ne l’aurais pas lu spontanément, le sujet me paraissant a priori trop douloureux. Mais il fait l’objet d’une chaîne de lecture au sein d’un groupe de grands amateurs de livres sur Facebook. Alors, au-delà de ses qualités - que je vais m’efforcer de vous présenter -, ce livre a permis de renforcer les liens entre les membres d’une petite communauté comme il en existe des milliers sur la Toile, mais qui, sous l’impulsion de Claire qui l’anime avec constance et passion et de certains de ses membres très actifs, possède une âme tout à fait unique, à laquelle il m’est permis ici de rendre hommage.

Mais venons-en au fait !
Le héros de ce récit est un tout jeune homme sur le point de fêter ses dix-huit ans. Comme tous les garçons de son âge, il aime s’amuser et dire des bêtises, il apprécie de boire une bière ou un coca, de manger des bonbons, de faire une partie de poker lorsque l’occasion se présente, il découvre les premiers émois amoureux...
Oui mais voilà... Richie vit dans une unité de soins palliatifs. Atteint d’un cancer, il ne soufflera sans doute jamais ses dix-huit bougies. D’autres malades l’entourent. Certains sont âgés : ils ont au moins vécu avant d’arriver là... Et il y a Sylvie. A quinze ans, elle possède une force, un instinct de vie à nul autre pareil. Ces deux-là sont bien décidés à ne pas se laisser déposséder de la moindre once de vie qui leur appartient.
Ces deux jeunes gens vont, non pas tourner le dos à la mort, mais la tenir en respect pour qu’elle ne leur vole rien avant que n’arrive son heure. Par leur fougue, ils vont remettre de la vie dans un service hospitalier qui ne la considère plus que comme un bien qu’ils croient préserver en la mettant sous cloche.
Oui, ils sont malades, ils nécessitent des soins intensifs. Mais non, cela ne justifie en rien de les priver de l’intimité qui leur est indispensable comme à tout ado, ni des plaisirs de l’existence qu’ils pourraient encore goûter.

Mais le plus difficile est de le faire comprendre aux autres, famille et personnel soignant. Pour ceux-ci, il importe de durer, de faire reculer le plus possible l’inexorable issue. Pour eux, quelques jours, quelques heures gagnés sont une morne victoire. Alors que pour ces adolescents dont l’âme est pleine de sève, qu’importe de durer un peu si c’est au prix de l’ennui et de la sagesse qui sont si étrangers à leur âge ?

Ce livre, jamais larmoyant et très juste, me semble-t-il, nous invite à considérer les malades comme des individus à part entière, exigeant que leur dignité et leur libre-arbitre soient respectés. Il nous suggère de mettre au second plan l’immense douleur qu’on ressent inévitablement lorsqu’on accompagne un être aimé au seuil de la mort pour donner du sens à chacun des précieux instants qui restent à vivre.
Sans doute est-ce beaucoup demander à un individu, en particulier lorsque c’est son propre enfant qu’il va perdre.
Mais l’auteur nous permet, avec élégance et finesse, d’envisager une réflexion sur le thème de l’accompagnement en fin de vie, un sujet pourtant bien difficile à aborder.

Si j’avais un seul bémol à formuler, il concernerait la traduction. Le jeune héros est un Américain. Il a les tics de langage d’un ado de son pays, et il aurait été judicieux de les adapter pour qu’on ne ressente pas ce décalage linguistique. J’avoue que cela m’a un tout petit peu gênée au début. Ce livre parle en effet d’une expérience universelle. Cette unité de soins palliatifs pourrait se trouver n’importe où au monde.
Mais que ce détail ne vous empêche pas de vous saisir de ce livre plein de grâce...


Découvrez aussi l'avis de Sophie


dimanche 20 juillet 2014



Le témoin invisible

Carmen Posadas

Le Seuil, 2014


Traduit de l'espagnol par Isabelle Gugnon

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Si vous voulez entrer dans l'intimité des Romanov...

Voici un bon petit roman historique, tout à fait honnête, même si rien de saillant dans l’écriture ou dans le déroulement du récit n’en fait un livre d’exception.

Carmen Posadas imagine qu’au soir de sa longue vie, un ancien domestique de la famille impériale de Russie lève le voile sur les derniers moments de l’existence de ses maîtres, ainsi que sur les conditions de leur exécution, dont il aurait été l’unique et secret témoin.
L’auteur fait commencer son récit quelque temps avant que n’éclate la révolution. Grâce  à la nature du narrateur qu’elle a choisi, elle nous fait entrer dans l’intimité de la famille régnante. On découvre la personnalité du tsar et de son épouse, ainsi que de chacune de leurs quatre filles. On éprouve de l’empathie pour leur fils atteint d’hémophilie et on découvre surtout la nature de la relation qui unissait la tsarine à un acteur qui joua un rôle déterminant : l’étonnant Raspoutine.

Carmen Posadas ne nous révèle rien de bien nouveau sur le sujet. Quiconque s’est un tout petit peu intéressé à cette période et à ces personnages n’apprendra sans doute que peu de choses. En revanche, elle noue habilement les fils d’un récit qui permettra à ceux qui ne sont guère familiers avec les Romanov et Raspoutine d’en savoir plus sur ces individus hors du commun, dont le destin fut brisé par net par l’épopée d’un peuple qui décida enfin d’en finir avec des siècles d’oppression et de servage. Une nouvelle histoire commençait alors... 

dimanche 6 juillet 2014

Les sept vies du marquis


Jacques Ravenne

Fleuve éditions, 2014




Un livre qui permet de découvrir un écrivain que chacun croit connaître.

Voici un roman historique : un genre que j’affectionne particulièrement, tout comme j’apprécie les films appartenant à cette même catégorie, qui nous plongent avec ravissement dans une époque du passé.

Dans son livre, Jacques Ravenne brosse le portrait de Sade, dont il semble être un lecteur passionné. Mais au-delà du portrait du divin marquis, c’est celui de la noblesse en fin de règne qu’il fait également, tout en nous immergeant dans le climat de la France préparant, puis accomplissant sa révolution.
Jacques Ravenne, auteur bien connu du public, notamment pour les livres qu’il écrit avec la complicité d’Eric Giacometti, que je n’avais moi-même jamais lu, possède une plume fluide qui rend la lecture de son livre facile et agréable. On découvre un personnage que l’on croit connaître - qui n’a jamais entendu parler du marquis de Sade ? - mais dont on n’a généralement guère plus que quelques idées reçues, voire quelques solides préjugés.

Le personnage qu’il nous présente est évidemment hors norme, dans sa sexualité débridée, mais surtout dans son refus d’accepter le moindre compromis. Jamais il ne toléra de brider ses propos, son imagination, ni son écriture, ce qui lui valut d’être emprisonné sous tous les régimes - monarchie, Terreur, Empire. 
En dépit de tous les excès de cet individu, on ne peut qu’être impressionné par sa résistance et son acharnement à défendre sa liberté d’expression sans que rien ne le fasse jamais plier, redoublant au contraire de persévérance pour écrire et diffuser ses oeuvres (il est prêt d’ailleurs à quelques extrémités assez inattendues pour préserver ses écrits de la censure, et que je ne vous révèlerai pas ici, pour vous en laisser le plaisir de la découverte !). 
On y découvre également un être intensément amoureux et suscitant lui-même la passion de plusieurs femmes. 

La vie de Sade est assez précisément relatée, et l’on devine l’auteur extrêmement documenté. 
Ce que j’ai regretté en revanche, c’est le traitement par trop expéditif et du coup un peu caricatural des autres personnages historiques, certains étant de premier plan, tels Robespierre ou Fouché. Il semble qu’à vouloir réhabiliter le sulfureux écrivain, Jacques Ravenne a un peu négligé les héros secondaires de son livre. On ne lui en voudra pas : il réussit à donner au grand public une image humanisée de Sade, dépassant les nombreux clichés, ce qui est en soi un bel exploit.