samedi 28 novembre 2015

A y regarder de près

Olivier Rolin

Illustrations d’Erik Desmazières

Le Seuil, 2015



Quelques pages de poésie pour se tenir un instant à l'écart de la fureur du monde.

Un jour, il y a déjà fort longtemps, j’ai lu un livre qui m’a éblouie, qui a changé ma relation à la littérature et a, par là-même, changé ma vie. Ce livre c’était - ce n’est pas un scoop pour certains d’entre vous qui le savez déjà ! - L’invention du monde, d’Olivier Rolin.
Depuis, je lis tout ce que cet extraordinaire écrivain publie. Tout. 
Et comme son talent est tel qu’il a la capacité d’écrire des textes très différents les uns des autres, il m’entraîne sur des chemins que je n’aurais certainement jamais empruntés sans lui.
Ce nouveau titre en est une illustration parfaite : des textes courts, sur des objets du quotidien, de ceux auxquels on ne prête généralement aucune attention ; des natures mortes en somme - un genre auquel Olivier Rolin fait explicitement référence, puisqu’il convoque des  artistes ayant mis en scène les éléments qu’il dépeint.
Il s’inscrit ouvertement dans le sillage de Francis Ponge, qui n’évoque pour moi, je le confesse, que quelques laborieux souvenirs de mes premières années d’études, qui ne comptent pourtant dans l’ensemble que des souvenirs de bonheur et d’épanouissement sans égal. Bref, autant dire que l’exercice ne suscitait pas d’emblée chez moi un enthousiasme débordant...

Oui, mais voilà, les mots et la langue d’Olivier Rolin sont pour moi d’une telle beauté, d’une telle intensité et d’une telle richesse qu’il pourrait écrire n’importe quoi, je le suivrais sans sourciller !
Or, par la démarche clairement poétique qu’il affichait dans ce projet d’un genre chez lui inédit, il était évident que l’écrivain allait particulièrement ciseler ses phrases, choisir ses mots pour faire résonner leur sonorité à mes oreilles. L’ambition était de donner corps aux objets par le seul pouvoir des mots, tout comme l’artiste auquel il s’est associé allait le faire avec la mine de son crayon.

Et surtout, je ne pouvais absolument pas passer à côté de ce livre posé d’emblée comme un contrepoint à L’invention du monde. Dans sa préface, Olivier Rolin affirme qu’a présidé à la rédaction de ce recueil le même orgueil que celui qui avait commandé la démesure de son oeuvre vingt ans auparavant. C’est cette folie, cette magnifique présomption qui m’avait attirée puis conquise... Et voilà qu’il réitérait le défi !
Après avoir façonné l’immensité, l’inaccessible, le mouvement incessant, après avoir ordonné l’apparent chaos du monde, il s’attaquait désormais à notre univers dans sa dimension la plus familière et la plus immuable.

A chacun de juger du résultat selon sa sensibilité.
En ce qui me concerne, j’avoue que je préfère voir l’écrivain porter son regard sur des horizons lointains et sonder notre histoire et notre société.
Mais j’admire son talent protéiforme et sa capacité à me surprendre, toujours, en refusant de s’enfermer dans le confort d’une forme maîtrisée et indéfiniment répétée. Et j’y vois là encore la marque d’un grand écrivain !


samedi 21 novembre 2015

Otages intimes


Jeanne Benameur

Actes sud, 2015

☀ ☀


Cerner l'horreur et tenter de dire l'innommable.

Qu’il est difficile de reprendre le cours de la vie.
Qu’il est difficile de retourner vers les livres et de se laisser guider par les phrases. 
Je sais pourtant que les mots des écrivains sont mes plus fidèles et mes plus précieux alliés pour comprendre le monde et donner sens et intensité à ma vie. Je sais aussi qu’eux seuls me permettront d’avancer, de sortir de cet état d’hébétude, d’évaluer les événements et tout ce qui en découle autrement que sous le seul coup de l’émotion...
Mais bon sang qu’il est difficile de retrouver le chemin de la littérature !

Mon dernier billet date du 15 novembre. J’y affirmais ma volonté de publier pour ne pas laisser d’espace aux barbares. Mais ce billet, je l’avais rédigé bien avant les atrocités de ce funeste vendredi...

Que pouvais-je lire après ça ? Un livre léger, pour m’évader, comment certains ont pu le faire ? Je savais qu’en ce qui me concerne il était trop tôt, que ça ne marcherait pas. J’avais au contraire besoin de cerner l’effroi.

Le roman de Jeanne Benameur patientait dans ma bibliothèque: lorsque mon regard s’est  arrêté dessus, il s’est imposé comme une évidence.

Un livre qui parle de la violence dont sont capables les hommes, mais abordée sous l’angle d’un récit introspectif, une sorte de grand écart entre le chaos du monde et la quête  intime d’une forme de paix.
Jeanne Benameur entre dans la peau d’un ex-otage qui vient d’être libéré, un photographe de guerre dont le métier est d’approcher au plus près de ce que l’humain produit de pire. Etienne voulait témoigner. Il cherchait surtout, cliché après cliché, à retrouver l’humanité que les individus perdent lorsqu’ils sont confrontés à la mort omniprésente, à la nécessité de se cacher ou de fuir pour préserver leur vie. Jusqu’à ce que lui-même se trouve pris dans ce déferlement de violence, capturé, enfermé. Pourquoi ? Par qui ? Jusqu’à quand ?
Après sa libération, il retrouve ses proches et, parmi ceux-ci, son amie d’enfance qui, elle aussi, a choisi de côtoyer la douleur pour y porter secours et la combattre. Jofranca, avocate à La Haye, aide les femmes victimes de la guerre à exprimer ce qu’elles ont vécu.

Avec une sobre économie de moyens, Jeanne Benanmeur dit la peur, la déchéance, le sentiment de perte d’humanité lorsqu’on n’est plus qu’une monnaie d’échange, celui de l’avilissement quand un homme en est réduit à ne plus attendre que la maigre écuelle quotidienne ou lorsqu’une femme est meurtrie, violentée pour se voir imposer une domination. Jeanne Benameur dit la folie des hommes, et le recours impérieux à la parole pour  mettre l’horreur à distance et s’en affranchir.

Cette nuit, c’est différent. Il y a des mots qui viennent. Ce sont les mots humbles de qui se sait humain et frère des humains, quels qu’ils soient, si monstrueux soient-ils. Ce sont des mots pour l’homme au visage las aussi sous sa cagoule et tous ceux qui croient comme des fous. Jusqu’à mener les autres à la mort. Des mots pour tous ceux qui crient dans cette nuit et qu’il n’entend pas parce qu’il a la chance d’être ici, protégé, des mots pour ses camarades encore enfermés, morts peut-être, pour ceux qu’on torture comme pour ceux qui les torturent. Cette nuit il fait à nouveau partie du monde, de ce monde puant la charogne où l’amour souffle quand même, ténu, tenace, dans des poitrines ignorées.

Dans ce contexte de violence effroyable et aveugle, ce livre a pris une résonance terrible et m’a aidée. L’auteur a mis des mots très posés, dénués de bruit et de fureur sur une situation intolérable. Je ne sais pas ce que j’en aurais dit en d’autres circonstances, peut-être même ne l'aurais-je pas lu. Mais en ces jours sombres, ce sont les mots qu’il me fallait.


L'avis d'Eva, qui a été très touchée par ce texte, de même que Noukette et Jérôme

dimanche 15 novembre 2015

Intérieur nuit


Marisha Pessl

Gallimard, 2015

Traduit de l'américain par Clément Baude

☀ ☀

Passé l'effroi, la sidération, le choc, je publie mon billet comme prévu, pour ne pas laisser croire aux barbares qu'ils pourraient avoir gagné un pouce de terrain.

Voilà un roman que je brûlais d’envie de lire ! La quatrième de couverture m’avait franchement mise en appétit et les billets plus qu’enthousiastes de certaines d’entre vous avaient achevé de me convaincre. Vu le morceau, je me l’étais gardé pour une période de congés... et j’ai rudement bien fait, car ces quelque 700 pages et des poussières se lisent avec avidité.

Etrangement, il présente une certaine proximité avec ce qui avait été ma précédente lecture, Archives du vent (j’ai un peu bousculé l’ordre de mes billets) : on est dans le milieu du cinéma et l’intrigue tourne autour d’un réalisateur de génie auréolé de mystère, vivant en retrait du monde et proposant une œuvre hors norme. Moyennant quoi, il règne autour d’eux une atmosphère étrange et inquiétante, qui semble naître de leurs films eux-mêmes, mais peut-être aussi de leur personnalité...

Soyons clair, j’ai nettement préféré le roman de Pessl à celui de Cendors, même si l’écriture du second offre une qualité littéraire nettement supérieure à la première, dont le style reste assez classique, mais néanmoins efficace, grâce notamment aux nombreux dialogues, fidèle en cela à une certaine tradition américaine.
L’incorporation de copies de pages écran de sites internet, de photos ou de fac-simile d’articles de journaux témoignant des recherches du héros est une trouvaille amusante. Ces documents sont cependant censés mettre le lecteur sur une sorte de pied d’égalité avec le narrateur et l’entraîner dans les mêmes chausse-trappes que lui. On est supposé s’interroger sur ce que l’on découvre et la manière dont les indices sont interprétés. J’ai envie de dire : rien de nouveau sous le soleil. A la lecture des différents billets, je m’attendais - peut-être à tort - à une sorte de mise en abyme, à une fiction s’interrogeant sur elle-même, où l’on ne saurait plus démêler le réel du fictif. Or il n’en est rien, d’où une légère déception. A aucun moment, je ne me suis sentie prise en défaut pas l’auteur ou prise à partie dans mon statut de lectrice. On sait constamment où l’on se trouve et je ne me suis jamais demandé où voulait m’emmener l’auteur.
Ces réserves faites, il reste que l’intrigue est habilement menée, l’atmosphère est parfois glaçante - en dépit de quelques petites maladresses visant à accentuer le caractère terrifiant des événements qu’on pardonne aisément à ce jeune auteur - et on lit les 200 dernières pages avec une véritable frénésie. 

Une lecture plaisir, donc, parfaite si l’on recherche le frisson sans voir le sang couler à toutes les pages !


Les avis franchement enthousiastes de Papillon, Eve et Laure ; celui de Brize, que je partage en tout point.  




mercredi 11 novembre 2015

Et rester vivant


Jean-Philippe Blondel

Pocket, 2013 (Première édition : Buchet-Chastel, 2011)


☀ ☀

Réapprendre à vivre, quand les couleurs de la vie se sont effacées.

Après Un hiver à Paris, que j’avais beaucoup aimé et qui avait été mon premier contact avec Jean-Philippe Blondel, je m’étais promis de revenir à cet auteur. Mais je ne suis pas une lectrice compulsive, plutôt une flâneuse qui aime passer d’un univers à un autre et laisser s’écouler du temps entre deux livres d’un même écrivain.

Pour ce retour, j’avais l’embarras du choix : une petite dizaine d’œuvres s’offraient à moi. C’est le titre qui m’a guidée. Et rester vivant. Qu’est-ce qui pouvait bien se cacher derrière ces mots ? Quelle urgence ? Quelle histoire ? Quel drame ? Ils affirmaient évidemment une dimension vitale qui m’a intriguée.
L’histoire présente un caractère tout aussi dramatique que celle qui faisait l’objet d’Un hiver à Paris. Mais c’est surtout dans la forme que les deux récits offrent une certaine analogie, dans la mesure où le narrateur revient, bien longtemps après qu’il fût survenu, sur un événement douloureux pour tenter de sonder l’empreinte qu’il a déposée en lui et d’en mesurer le retentissement sur sa propre existence.

Un homme se remémore ses 22 ans. Il vient d’apprendre le décès de son père dans un accident de voiture. On imagine le choc, l’incommensurable chagrin. Pourtant le jeune  garçon est incrédule, comme anesthésié : il a déjà perdu sa mère et son frère aîné quatre ans auparavant dans des circonstances absolument similaires, alors que son père était au volant du véhicule.  

Avec un tel résumé, on aurait presque envie de reposer le livre. Trop c’est trop, il ne faut pas exagérer. « Parce qu’il y a des limites à la fiction », admet le narrateur dès les toutes premières lignes... Cette histoire est trop invraisemblable pour entrer dans le champ d’un roman.
Mais le livre est bien là. Et il raconte les semaines qui suivirent, le cheminement pour parvenir à rester vivant, retrouver les couleurs de la vie, s’inscrire à nouveau dans un avenir, même s’il n’existe plus pour les êtres disparus. 

J’ai retrouvé dans ce texte le ton tout en élégance et en retenue que j’avais aimé chez cet écrivain. Blondel ne dramatise pas, il n’est jamais larmoyant. Il aborde au contraire les événements les plus noirs avec une simplicité et, je dirais, une pudeur qui nous permettent de lire sans que jamais s’installe un malaise. C’est toute la force de son style.

Sans doute fallait-il en passer par l’écriture pour circonscrire la douleur et mettre définitivement les événements à distance. Une écriture en forme de libération, qui est aussi l’affirmation d’une identité et d’un talent.

samedi 7 novembre 2015

Titus n'aimait pas Bérénice

Nathalie Azoulai

POL, 2015

Prix Médicis 2015
☀ ☀

Racine tel que vous ne l'avez jamais vu.

Racine. A l’évocation de ce nom me reviennent en mémoire quelques souvenirs profondément enfouis. Des lectures scolaires, bien sûr ; pas forcément celles qui m’avaient le plus éblouie ; une lamentable expérience théâtrale dans laquelle m’avait entraînée ma meilleure amie. Malade de trac et de timidité, j’y avais joué un bien piètre Pylade (aucun garçon n’ayant voulu participer à l’aventure)... Bref, ce n’est clairement pas du côté du Grand Siècle que j’ai connu mes premiers émois littéraires !

C’est passablement intriguée que j’ai ouvert le livre de Nathalie Azoulai : aborder Racine à travers l’histoire d’une rupture amoureuse, chercher en lui et en ses pièces l’impossible réconfort, voilà qui me laissait perplexe. Comment trouver un écho à la douleur chez celui qui m’apparaissait comme l’incarnation du classicisme, le chantre d’une langue corsetée dans l’alexandrin, le tenant de la raison contrariant la passion ? Je demandais à voir.

Et bien ce que j’ai vu c’est à quel point je méconnaissais et l’auteur et l’homme.
Là où j’avais l’image d’un courtisan sévère et austère, j’ai découvert un être animé de passion, que la perte précoce d’une mère, très vite suivie de celle du père, puis l’éloignement d’une tante, avaient trop tôt privé de gestes de tendresse ; un homme qui manifestait dans l’amour des femmes une vigueur que je ne lui aurais pas soupçonnée ; un auteur inquiet de la réception de ses œuvres. Car c’est bien là que réside le plus surprenant pour les lecteurs d’aujourd’hui. Pour nous, Racine, c’est la langue classique par excellence, c’est la rigueur grammaticale, la perfection de la langue à son apogée.  Phèdre ou Andromaque ont une dimension presque sacrée dans le panthéon littéraire national.
Or, le classique d’aujourd’hui n’est rien d’autre que le moderne d’hier. Nathalie Azoulai nous révèle les audaces de Racine écrivant ses vers. Elle imagine ses doutes, elle évoque ses partis pris privilégiant l’effet plutôt que le respect de la forme. Elle nous dépeint les pâmoisons de la partie féminine de son public, qui n’ont rien à envier à celles que connaîtront plus tard les lectrices de Balzac ou de Hugo, séduites qu’elles furent, toutes, par un style inédit et la hardiesse des propos.

Il se dégage du très beau texte d’Azoulai une énergie à laquelle je ne m’attendais pas. On y perçoit un amour pour un auteur qui finit par être contagieux. En superposant une situation amoureuse d’aujourd’hui à celles des héroïnes de Racine, elle révèle subtilement la permanence des sentiments humains et, par là-même, le caractère intemporel des tragédies de Racine, comme de toutes les grandes œuvres littéraires. 
Et elle suscite le désir ardent de retourner vers des textes que l’on avait remisés au fond de nos bibliothèques, pour en souffler la poussière et y déceler toute la modernité que l’on avait trop vite oubliée.



Caroline - qui connaît bien mieux Racine que moi - a aussi adoré !





mercredi 4 novembre 2015

En aparté avec Laurent Binet

Pour la première fois sur mon blog, j'ai la joie d'accueillir un écrivain pour lui poser quelques questions sur son travail. C'est vraiment un immense plaisir d'inaugurer cette rubrique avec Laurent Binet, 
dont j'ai vraiment beaucoup apprécié le dernier roman ! Un grand merci à lui !
(Entretien réalisé par mail)





Votre livre, La septième fonction du langage, ne ressemble à aucun autre. Il aborde sous une forme extrêmement rocambolesque un sujet pourtant sérieux, qui est celui du pouvoir du langage. Comment vous est venue l’idée de construire une intrigue policière pour parler de linguistique et de  sémiologie ?

C'est la sémiologie elle-même qui m'a donné l'idée : la science des signes, c'est la science de Sherlock Holmes. Barthes était un genre de Sherlock Holmes, dont il possédait les qualités : observation, déduction, imagination.


Vous maîtrisez manifestement très bien le sujet. Aviez-vous fait auparavant un travail plus académique sur les théories que ces sciences humaines développent ? Ou bien est-ce plus particulièrement dans le cadre de l’écriture de ce roman que vous vous êtes documenté sur la question ?

Les deux. J'ai donné des cours de sémiologie à Paris 8, et je connais assez bien les grandes théories linguistiques de Saussure, Jakobson, Eco, Austin ou Searle. En revanche, pour les besoins de l'enquête, si je puis dire, je me suis plongé (avec avidité) dans Derrida, Deleuze, Foucault...


Je ne vous demanderai pas ce que Sollers a pensé de votre roman...
En revanche, savez-vous quelle a été la réception de ce texte dans les milieux universitaires? Vous sait-on gré de mettre la linguistique à la portée du grand public ? (Je précise, car c’est une question qui revient souvent, qu’il n’est aucunement besoin de maîtriser ces théories pour lire votre livre, qui est à cet égard tout à fait pédagogique !). 

J'ai eu des réactions enthousiastes ou au minimum amusées de linguistes. Cela m'a fait plaisir, évidemment, que des spécialistes reconnaissent le sérieux de mon travail derrière la satire et le picaresque du roman.


Vous vous amusez à faire entrer le réel dans une fiction totalement échevelée, sans chercher toutefois à y introduire de la vraisemblance. Aujourd’hui, dans la littérature, les frontières entre fiction et réalité sont de plus en plus perméables. Cette dimension est au centre de nombreux romans de cette rentrée. Le texte se fait volontiers réflexif, ce qui donne d’ailleurs au lecteur un rôle beaucoup plus actif. Quelle approche avez-vous de cette question ?

Pour moi, la réflexivité est la définition même du roman moderne. Mais cela ne date pas d'aujourd'hui : Don Quichotte était déjà un roman moderne (sans doute même l'acte de naissance du roman moderne). J'aime qu'un roman s'interroge d'une façon ou d'une autre sur les conditions de son propre fonctionnement. Don Quichotte, c'est ça : un vieil hidalgo qui a trop lu de romans de chevaleries, et donc une réflexion sur le pouvoir de la littérature.


Pour conclure, avez-vous déjà l’idée d’un prochain livre ? L’autofiction pourrait-elle être une piste ?

Non, je ne crois pas, même si l'autofiction est un genre respectable qui a produit des oeuvres très intéressantes (et d'autres plus médiocres, comme partout). Je n'en sais rien, on verra bien.



lundi 2 novembre 2015

Archives du vent

Pierre Cendors

Le tripode, 2015



Un voyage onirique dans l'univers du cinéma.

Dans la série « les-titres-qui-vous-envoûtent », j’ai craqué pour Archives du vent. C’était avant même de le voir en librairie : un post sur Internet qui présentait une sélection de romans pour l’un des innombrables prix qui fleurissent à la rentrée. Et puis je suis tombée dessus. Une superbe couverture, avec le regard insolent de Louise Brooks qui accroche immédiatement le vôtre. Je l’ai pris en main. Un objet splendide : un papier épais ; des marges confortables ; une typo élégante (Perpetua, un caractère créé en 1929, nous est-il précisé en fin d’ouvrage). Bref, un sacré beau livre qui avait fait l’objet de soins attentifs de la part d’un éditeur amoureux de son métier. Cela méritait de s’y attarder.

La quatrième de couverture était assez laconique ; seul l’un des rabats reprenait une citation du livre, qui éclairait sur la démarche volontiers ésotérique de l’auteur et le caractère ténébreux du texte.

"Mon histoire n’est pas un roman. Il ne s’agit pas plus d’un testament que d’une confession. C’est une formule talismanique pour sortir du monde sans en sortir, un blanc chamanique de la parole, quelque chose comme une aire de hors jeu dans le grand jeu cosmique où se joue notre existence."

Pas vraiment mon univers, mais pourquoi pas. Il est intéressant parfois de sortir de sa zone de confort pour explorer des horizons nouveaux et, peut-être, faire de réjouissantes découvertes...

... J’ai eu le plaisir de lire une écriture élégante, travaillée, très soignée.
Quant au récit lui-même, l’auteur sait incontestablement installer une atmosphère, quelque chose de surnaturel et d’assez poétique.
Mais, pour être franche, même si j’ai lu ce roman sans déplaisir, on ne peut pas dire que j’aie été franchement conquise. L’idée de départ était pourtant originale : un réalisateur de génie crée des films à l’aide d’un procédé révolutionnaire. En numérisant des œuvres cinématographiques ou des documents filmés, il peut, en assemblant ensuite les images à son gré, recréer des films de toute pièce, en faisant jouer aux acteurs des rôles entièrement nouveaux. Les conditions de projection de ces films obéissent à des exigences particulières de leur auteur, les entourant d’une aura de mystère supplémentaire...
S’il est amusant d’imaginer Brando en éditeur en vogue ou Louise Brooks en jeune chanteuse juive - des rôles qu’ils n’ont jamais tenus -, je n’ai pas bien saisi l’intérêt de faire d’Hitler un poète méconnu de grand talent (qui tombe amoureux de la chanteuse en question). Je ne me suis cependant pas arrêtée à ce détail...
J’ai poursuivi cette histoire nimbée de mystère en espérant qu’elle me mènerait vers des rivages inattendus. On évolue peu à peu vers une histoire de doubles dont l’un ferait le récit cinématographique de la vie de l’autre. Les frontières entre fiction et réalité semblaient se brouiller : de quoi me titiller !
Mais le fil du récit m’a paru un peu confus dans son déroulé comme dans son propos, et je suis finalement restée sur le bord du chemin... Dommage, car ce texte ne manquait pourtant pas de qualités.