dimanche 31 juillet 2016

Madison Square Park

Abha Dawesar

Heloïse d’Ormesson, 2016


Traduit de l’américain par Laurence Videloup


Entre deux cultures, une jeune femme tente de tracer son propre chemin.

Poursuivant la préparation de ce qui sera ma toute première venue au festival América de Vincennes, en septembre prochain, j’ai à nouveau pioché parmi les auteurs invités. J’avoue n’être pas spécialement férue de littérature américaine - bien que j’en lise régulièrement - si bien que je me suis pleinement laissée guider par le hasard et le feeling pour orienter mon choix. Comme je suis au contraire particulièrement friande de culture indienne, lorsque j’ai trouvé le livre d’Abha Dawesar à la bibliothèque, je n’ai pas hésité une seconde.  

Cette auteure, née à Delhi en 1974, vit aujourd’hui aux Etats-Unis, où elle a fait ses études. C’est dire si la rencontre - voire la collision - de deux cultures lui est un sujet familier. Un sujet qu’elle a placé au centre de son dernier roman. 
Uma est une jeune femme comme bien d’autres, qui partage un petit appartement avec son amoureux, Thomas, occupe un emploi stable, sort avec ses amis... Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes, jusqu’au moment où elle tombe enceinte. Thomas irradie de bonheur à l’annonce de cette nouvelle pourtant inattendue. Pour Uma, c’est une autre histoire : comment annoncer cet événement à ses parents, alors même qu’ils ignorent l’existence de Thomas, eux qui ne rêvent que de la marier à un Indien qu’ils choisiront eux-mêmes. 
Soudain, le fragile équilibre qu’avait réussi à se construire Uma s’effondre. Thomas la presse d’affronter ses parents, d’autant qu’elle pourrait être porteuse d’une maladie génétique susceptible d’atteindre à son tour le bébé. Un dépistage de chacun des membres de la famille se révèle donc incontournable...
Mais Uma panique. Les souvenirs d’enfance remontent à sa mémoire. Abha Dawesar distille dans son récit de nombreux épisodes de l’enfance de son héroïne, éclairant ainsi progressivement sa personnalité. Elevée au sein d’un couple dont la relation repose sur un étonnant cocktail d’amour et de violence, ayant été témoin des étreintes de ses parents comme des agressions de son père à l’égard de sa mère, Uma n’a d’autre choix que de les fuir pour enfin échapper à leur emprise.
Abha Dawesar évoque cette difficulté de manière très fluide, sait rendre son héroïne attachante et le tout est assez agréable à lire, même si je ne ferais pas de ce roman un indispensable. 

Au-delà des fossés culturels qui peuvent certes exister, mais cependant aussi être fort bien dépassés, ce roman évoque surtout la difficulté à s’émanciper d’une tutelle parentale qui peut parfois se révéler extrêmement pesante et invalidante. Prendre son envol pour chercher sa voie propre : une étape nécessaire à laquelle chacun se trouve un jour ou l’autre confronté


Abha Dawesar sera présente au festival America de Vincennes, qui se tiendra du 8 au 11 septembre





lundi 18 juillet 2016

Terre déchue

Patrick Flanery

Robert Laffont, 2016


Traduit de l’américain par Isabelle D. Philippe


La fin du rêve américain

Glaçant. Si je devais qualifier ce roman d’un seul terme, ce serait assurément celui-là. 
Dès les premières pages, Flanery plante un décor de sinistre mémoire : celui d’une terre qui fut le théâtre d’émeutes raciales et vit le lynchage de plusieurs hommes. Quelques pages et une centaine d’années plus tard, on est projeté dans un pénitencier où un condamné reçoit la visite d’une femme. On ne sait rien encore de ces deux personnages, si ce n’est qu’ils se connaissent, mais que le sentiment qu’ils nourrissent l’un pour l’autre est tout sauf amical...

C’est l’histoire d’une terre que nous conte Flanery, celle dans laquelle s’enracinent certains individus depuis plusieurs générations, celle aussi que d’autres veulent s’approprier sans la connaître, la comprendre ni l’aimer, croyant, en l’achetant, pouvoir en devenir les maîtres, celle enfin sur laquelle viennent s’installer des individus venant y chercher ce qu’elle ne pourra leur offrir. Louise, une vieille femme noire expulsée, Paul Krovik, un promoteur immobilier sans envergure et sans états d’âme, et Nathaniel, un wasp bostonien accompagné de sa femme et de son jeune fils Copley sont les héros de ce sombre roman : une somme d’individus atomisés, totalement sourds et aveugles à leur entourage, tentant désespérément de s’accrocher à une chimère qui les lamine à mesure qu’ils tentent de s’en approcher. 
Une maison les réunit. C’est celle qu’avait construite Krovik pour y loger sa propre famille et qui devait être la première pierre de son édifice : un domaine clos et sécurisé où les classes moyenne et supérieure viendraient se mettre à l’abri d’un monde jugé hostile ; mais sa femme en est partie avec leurs enfants lorsque les murs ont commencé à se lézarder, en même temps que leur couple et la raison de Krovik ; lorsque les Noailles viendront l’habiter, le rêve d’ascension sociale trouvera ses limites, tandis que l’harmonie familiale commencera là encore à se déliter... 

C’est l’histoire du rêve américain en train de faire naufrage que nous conte Flanery. Tous les personnages vivent les uns à côté des autres sans jamais parvenir à communiquer. Même au sein de la famille, l’incompréhension mutuelle finit par avoir raison de l’amour familial. Les individus sont totalement seuls, alors même que la société prétend construire un monde global, cohérent, dans lequel chacun est censé trouver sa place et jouer un rôle. Et plus la société prétend s’organiser pour préserver la sécurité des individus - fût-ce au prix de leur liberté et de leur libre-arbitre - plus ceux-ci se sentent isolés. Dès lors, le danger ne provient plus de l’extérieur, mais bien de la sphère privée. Flanery ne nous offre aucune échappatoire, nul n’est épargné. Et rien ne semble pouvoir éviter la débâcle...

Glaçant, vous disais-je.


Patrick Flanery sera présent au festival America qui se tiendra du 8 au 11 septembre





lundi 11 juillet 2016

L’ombre de nos nuits

Gaëlle Josse

Notabilia, 2016



Quand l'art pictural fait surgir émotions et souvenirs

De Gaëlle Josse, j’avais beaucoup apprécié Le dernier gardien d’Ellis Island. Avec une grande élégance, l’auteur y relatait le sort des migrants venus de toutes les régions du monde au tournant des XIXe et XXe siècles pour poser le pied sur le sol américain, qui constituait pour eux la promesse d’un avenir meilleur. Inévitablement, ces destins souvent dramatiques faisaient écho à celui des milliers d’individus qui tentent aujourd’hui de gagner au péril de leur vie des terres qu’ils espèrent accueillantes.
Le style sobre de l’auteur permettait d’exprimer la douleur de l’arrachement et du rejet avec une grande justesse. Il rendait également compte du cynisme d’un système qui autorisait certains à poursuivre le rêve, tandis qu’il en rejetait d’autres sans aucun état d’âme.

C’est ce style très dépouillé que l’on retrouve dans L’ombre de nos nuits. Mais on est ici dans un univers très différents, extrêmement intimiste. Gaëlle Josse entrecroise en effet un moment de la vie du peintre Georges de La Tour, alors qu’il réalise l’un de ses chefs-d’œuvre, et les souvenirs d’une femme qui, de nos jours, est frappée par ce tableau qui la renvoie à l’échec d’une relation amoureuse.
Sa langue est toujours précise, dénuée de fioritures, très soignée. Mais malgré sa qualité j’avoue être restée à distance de ce texte. Parler d’une passion, même non partagée, requiert pour moi plus de chaleur et d’emportement. Or Gaëlle Josse reste toujours très mesurée, elle contient en permanence sa langue et ses émotions. J’ai d’ailleurs préféré les chapitres consacrés au peintre, qui restituent parfaitement le travail et l’environnement de l’artiste.
Ce livre m’a fait penser à celui de Léonor de Recondo, Pietra Viva, qui rendait également compte, dans un format et un style assez comparables, d’un épisode de la vie de Michel- Ange. Une même impression m’avait tenue à distance de ce texte. Dans les deux cas, je ne peux que reconnaître une qualité et une tenue littéraires par ailleurs très appréciées de nombreux lecteurs. Je crois simplement que cela ne correspond pas tout à fait à ma propre sensibilité...


NicoleClara et Joëlle ont quant à elles été enchantées




dimanche 3 juillet 2016

Rien que des mots

Adeline Fleury

François Bourin, 2016



Où l'auteur interroge la place de la littérature dans nos vies.

Rien que des mots, tel est le titre choisi par Adeline Fleury pour son premier roman, dont on devine qu’il va nous parler de la relation que l’on peut entretenir avec eux. 
Rien que des mots, certes, mais des mots qui tiennent une place folle, outrancière, dans la vie d’Adèle. Ce sont les mots qui l’ont privée, alors qu’elle était enfant, de la tendresse et de la présence d’un père, obnubilé par les textes qu’il doit, ou qu’il veut, depuis toujours écrire. Quant à son mari, il se consacre également entièrement à l’écriture. 
Adèle veut rompre avec ce qu’elle estime être une malédiction familiale. Lorsqu’elle tombe enceinte, elle décide que son enfant devra vivre à l’écart de toute forme d’écrit pour être dans la vraie vie et non poursuivre une chimère. 
Tandis que que la destruction des livres est ordonnée partout pour laisser place aux seuls ouvrages numériques, Adèle décide d’enfermer son mari dans un bureau qui demeurera interdit au petit Nino. Plus tard, elle se chargera elle-même de son instruction. Nino vivra dans une bulle, sans rien connaître de cet univers auquel son père et son grand-père se dédient de manière inconditionnelle et auquel Adèle a renoncé. Jusqu’au jour où, on s’en doute, Nino découvrira les livres cachés...

Le thème choisi par l’auteur est loin d’être inintéressant, particulièrement pour qui tient la littérature pour un élément essentiel et indispensable. Lire, écrire, est-ce être dans la vie ou s’inscrire dans une dimension éthérée, en marge du monde ? Se consacrer entièrement à ces activités implique-t-il de reléguer son entourage à une place secondaire ? 

Mais Adeline Fleury mélange deux plans : le rapport intime que l’on peut entretenir avec la littérature et l’évolution de la société vers des pratiques de lecture différentes induites par le numérique. Du coup, les deux sujets se parasitent et le propos perd en force et en crédibilité. Là où la décision de l’héroïne aurait dû apparaître radicale et provoquer une rupture brutale, celle-ci ne fait que s’inscrire dans un contexte plus vaste d’autodafé dont on ne perçoit pas très bien les motivations. 
Et puis le texte est très sec. Je ne me suis absolument pas attachée aux divers personnages. Le petit Nino est un effrayant enfant dénué de fantaisie et de rêve. Les phrases claquent, il n’y a aucune émotion, alors même que le sujet exigerait, me semble-t-il, de l’exaltation, de la fureur, de la passion... bref, tout ce qui fait la grandeur de la littérature.


L'avis de Nicole, plus indulgente, sur ce roman

Roman en course pour les 68 premières fois, édition 2016