samedi 31 décembre 2016

Les règles d’usage

Joyce Maynard

Philippe Rey, 2016


Traduit de l'américain par Isabelle D. Philippe


La vie comme elle va...

Je ne vais pas faire très long et je ne vais sûrement pas me faire que des amis avec ce billet, tant il est vrai que cette auteure est encensée, en particulier sur la blogosphère.
Non pas que j’aie éprouvé du déplaisir à lire ce roman, mais, comme bien souvent avec les Américains, je l’ai trouvé un peu long : 472 pages, je pense qu’il en aurait facilement supporté une centaine de moins.
Et puis je ne me suis pas beaucoup attachée au personnage de Wendy, cette jeune fille de treize ans qui perd sa mère dans l’attentat du 11-Septembre. Pourtant, dans l’ensemble, les personnages sonnent plutôt juste. Mais j’ai trouvé l’ensemble trop lisse. Tout est étrangement fluide, tous les protagonistes sont bienveillants, alors même que certaines situations susciteraient en réalité sans doute plus de conflits - qu’il s’agisse du beau-père qui voit partir sa fille, du père biologique qui réapparaît sans crier gare, jusqu’au gentil libraire et à l’administration scolaire, extrêmement compréhensifs...
Et le style va de pair avec ce qui est dit : sans aspérité aucune. Dialogué, descriptif, ne s’attardant pas exagérément sur la psychologie, mais davantage sur les événements, c’est la manière américaine par excellence.
En un mot, un roman pas désagréable, mais sans surprise. Et qui ne restera donc pas dans les annales, en ce qui me concerne...

Mais d'autres ont adoré : ElectraEva, LaureLeoMarie-Claude... 
Les filles, j'espère que vous n'allez pas me détester ! Il faut bien une voix discordante...

lundi 26 décembre 2016

Alice ou le choix des armes

Stéphanie Chaillou

Alma, 2016



Quand l'espace de travail devient un lieu de violence et de souffrance.

Je la trouvais un peu plan-plan, cette rentrée littéraire. Il y a bien quelques romans que j’ai trouvés habilement troussés et les nouveaux opus d’auteurs déjà bien installés que je n’omets jamais de lire. Mais disons que j’étais en attente de livres véritablement marquants... jusqu’à ce que je tombe, par le plus grand des hasards, sur Alice. Présenté parmi les nouveautés dans une bibliothèque parisienne que je fréquente régulièrement, je m’en suis saisi pour lire la quatrième de couverture. Il y était question de violence au travail, traitée sous la forme d’un roman policier. Surprenante approche... Le roman était bref, je n’avais pas encore commencé celui qui m’attendait : je suis repartie avec.

Dès les premières pages, j’ai été happée par le style, sec, coupant, qui traduisait d’emblée  la violence du propos. Une violence feutrée, sans coups portés, avec même des sourires et l’assentiment général, mais une violence terrible, sans doute d’autant plus douloureuse qu’elle se pare des voiles de la respectabilité, faisant passer la victime pour coupable. Une mise à mort symbolique qui se joue entre deux êtres, avec la bénédiction de ceux qui incarnent l’autorité. Une forme de piège lent et insidieux se refermant sur un individu pour l’étouffer mentalement, le réduire à l’impuissance, le priver de ses facultés de raisonner, l’amener à craindre la moindre de ses paroles, même la plus anodine, qui pourrait se retourner contre lui. Prendre l’ascendant sur cette personne et instiller dans son esprit qu’elle n’est pas là pour réfléchir, mais obéir et s’incliner. Lui faire oublier que le travail a un sens, négliger qu’il est une forme d’organisation collective pour ne plus devenir qu’une somme d’individualités réduites à effectuer les tâches qui leur sont dévolues sans jamais s’interroger sur ce qu’elles font.

Un chef de service, Samuel Tison, est retrouvé mort sous un pont, battu à mort. Dans les locaux de la police, l’inspecteur Kerrelec interroge Alice Delcourt, qu’une lettre anonyme désigne comme la coupable de ce meurtre : elle a subi le harcèlement de cet homme et a fini par démissionner de son entreprise... 
Jour après jour, elle raconte son histoire. Sa parole se libère et elle peut enfin dire l’enchaînement des événements, l’incompréhension, l’isolement, la perte des repères, la perte de confiance - en les autres et en elle-même. 

Stéphanie Chaillou déroule tout le fil de ce qui se joue dans cette confrontation entre deux êtres. Elle pénètre au cœur des processus mentaux, elle dit combien au-delà de ce qui se passe entre ces deux personnes, quelque chose de beaucoup plus profond et sans doute de beaucoup plus grave advient : une inversion des valeurs, lorsque la loyauté, la qualité du travail, l’expérience, ne sont plus reconnues ; lorsque l’espace du travail est en perpétuelle recomposition, que l’on ne peut plus s’appuyer sur rien ni sur personne et qu’il se réduit à un leurre où chacun essaie de satisfaire ses ambitions personnelles en flattant sa hiérarchie ; elle dit l’incompréhension et l’effroi devant cette volonté de réduire l’autre à néant, elle dit la nécessité désespérée de renouer avec la raison et, plus encore, avec la conscience d’une humanité partagée. 
Puis vient l’heure du renoncement à se battre, lorsque le seul objectif n’est plus que de conserver son intégrité mentale. Elle dit la manière dont tout finit par devenir animal. Le moment où on ne cherche plus les mots, où le rationnel n’a plus sa place, mais où l’on réagit de manière instinctive, où l’on ne cherche plus qu’à se protéger de l’agression. Le moment aussi, parfois, où le sentiment de révolte prend le dessus sur la peur. Le moment où la seule chose que l’on réclame à tout prix, c’est la réparation, et de voir enfin tomber les masques.

Ce qui, hélas, ne vient généralement pas, ou trop rarement. Combien de chefs de service se complaisent aujourd’hui dans de tels agissements, sans qu’ils soient jamais remis en question ? Combien de dépressions, combien de salariés quittant leur entreprise ou leur poste sans que leur bourreau soit inquiété ? Sans parler des cas les plus graves où certains ne voient plus d’autre issue que celle de se donner la mort ? Pourquoi ? Au nom de quoi ? Qu’est-ce qui justifie de tels actes ? Comment peut-on fermer les yeux ?

Autant de questions que notre société devrait légitimement et sérieusement se poser pour en finir avec la souffrance au travail, ce mal intolérable qui la ronge. 
Nombre de dirigeants d’entreprises et de responsables de ressources humaines seraient bien inspirés de lire ce roman d’une grande justesse. Peut-être permettrait-il une première prise de conscience. A tout le moins constitue-t-il l’occasion de lire un texte d’une rare intensité.


Je vous en lis un extrait ici



mardi 13 décembre 2016

Sélection de Noël 2016

Rendez-vous désormais rituel,
voici ma petite sélection de Noël


Pour vous donner quelques idées de cadeaux, 
je vous présente les livres que j'ai préférés 
parmi ceux de la rentrée que j'ai lus



Numéro 11 de Jonathan Coe, Gallimard
Si, comme moi, vous avez été refroidi par ses derniers romans, ne négligez pas celui-ci : l'écrivain revient au mieux de sa forme, avec un roman solidement ancré dans la société pour en dénoncer les excès et les dérives. Un régal !

14 juillet d'Eric Vuillard, Actes Sud
Une très belle plongée dans cette journée mythique, pour en proposer une lecture originale et inédite, et redonner au peuple le rôle de premier plan qu'il y a joué.

L'insouciance de Karine Tuil, Gallimard
Un récit d'un incroyable souffle romanesque, à lire d'une traite. Une peinture sans concession de notre monde.

Par la ville, hostile de Bertrand Leclair, Mercure de France
Une tentative de restitution du parcours mental d'une femme qui se laisse choir, qui ne trouve plus ni les moyens ni les mots qui lui permettraient de continuer à exister. Un texte fulgurant qui met l'accent sur l'extrême violence de notre société.

La succession de Jean-Paul Dubois, L'Olivier
Un homme s'interroge sur son père, qu'il n'a jamais compris. Après son décès, il marche dans ses pas pour tenter enfin de le trouver. Il pose un regard sans complaisance, mais non dénué d'humour et de tendresse sur le monde qui l'entoure. Un très bon Dubois.

J'ai longtemps eu peur de la nuit de Yasmine Ghata, Robert Laffont
Un texte d'une grande délicatesse qui évoque le génocide rwandais, vu à travers les yeux d'un enfant. L'écriture ou l'art de la résilience.

Alice ou le choix des armes de Stéphanie Chaillou, Alma
Ma toute dernière lecture en date. Je n'ai pas encore écrit de billet, mais, faites-moi confiance, c'est un texte d'une rare puissance sur les dérives actuelles du monde du travail.
Aucun essai n'exprimera avec autant de précision et de justesse les ravages que peut provoquer une situation de harcèlement moral et ce qui se joue entre les personnes concernées.
Un véritable choc. Un roman à mettre entre les mains de tous les DRH et dirigeants d'entreprise de France !

dimanche 11 décembre 2016

J’ai longtemps eu peur de la nuit

Yasmine Ghata

Robert Laffont, 2016



L'autre Petit pays

Chaque rentrée, c’est la même chose : quelques romans se partagent les faveurs des médias et des lecteurs, au détriment de dizaines, voire de centaines d’autres, qui passent inaperçus. Petit pays, de Gaël Faye, qui évoque le conflit qu’a connu Rwanda, a ainsi été projeté dans la lumière et s’est trouvé dans les listes de plusieurs prix littéraires - ce qui est assez rare dans le cas d’un premier roman pour le souligner.
Hasard des calendriers éditoriaux, un autre livre est paru en même temps qui relate aussi l’arrivée en France d’un enfant ayant fui le conflit rwandais. Hélas, celui-ci n’a pas fait l’objet de la même attention, qu’il aurait pourtant méritée.

Arsène a douze ans. Il est orphelin. Ses parents et toute sa famille ont été massacrés dans son village. Poussé par sa grand-mère, lui seul a réussi à échapper à la mort certaine qui les attendait tous. Il vit désormais en France, adopté par un couple d’enseignants.
On découvre cet enfant à travers les yeux d’une femme, Suzanne, qui anime un atelier d’écriture dans la classe que fréquente à présent Arsène. Elle observe avec bienveillance ce jeune garçon à l’histoire qu’elle devine douloureuse.

Un objet. Les élèves vont devoir en choisir un, ancien, présent de longue date dans leur famille et qui en incarne peut-être l’histoire, qui porte en lui une valeur particulière. Ils devront alors remplir une fiche technique, sorte de carte d’identité de l’objet, avant d’expliquer les raisons de leur choix.
Mais Arsène n’a pas vraiment choisi. Tout est resté dans son pays d’origine. Tout, sauf la valise que lui avait confiée sa grand-mère pour fuir. Celle dans laquelle il a dormi lorsqu’il était dehors, celle qui l’a protégé des bêtes sauvages lorsqu’il était seul dans la savane, celle qui l’a protégé du froid lorsque la nuit tombait, celle qui renferme désormais les odeurs de son passé, celle qui le ramène chez lui lorsqu’il l’effleure, celle qui constitue  l’unique et dernier lien avec son enfance.
En choisissant ce thème, Suzanne voulait pousser les enfants à tirer le fil d’une histoire qui les conduirait au plus intime d’eux-mêmes. 

Avec beaucoup de patience, Suzanne aide Arsène à retracer sa douloureuse histoire, à y mettre des mots pour pouvoir mieux la mettre à distance et en apaiser les séquelles. Travaillant de très près avec l’enfant, elle en vient à effectuer elle-même ce travail de mémoire et à se souvenir de la mort précoce de son propre père. Les deux voix se mêlent ainsi, révélant avec une grande délicatesse le pouvoir libérateur de l’écriture.
En dépit des parcours douloureux qui se font peu à peu jour, il ressort de ces deux voyages intérieurs une impression apaisante et douce. Sans doute due aux vertus d’écoute et d’attention qui président à ce très beau récit.

Noukette a aussi été très touchée 





mercredi 7 décembre 2016

Kabukicho

Dominique Sylvain

Viviane Hamy, 2016



Visite de Tokyo, quartiers chauds

Moi qui ne suis pas très branchée Japon, je me suis toutefois offert, sur les conseils toujours avisés de Nicole, une petite immersion au pays du Soleil levant. Attention, pas celui des cartes postales ; non, chez Dominique Sylvain, pas de cerisiers en fleur ni de mont Fuji enneigé... 
Le Tokyo qui sert de décor à ce roman noir est celui des bars à hôtesses - mais aussi à hôtes - qui fleurissent dans le quartier de Kabukicho et sur lesquels plane l’ombre discrète, mais néanmoins bien présente, des yakusas. C’est que ces messieurs n’aiment guère l’exposition à la lumière. Ils préfèrent traiter leurs affaires dans le silence de la nuit. Aussi, lorsqu’une jeune Anglaise prénommée Kate, hôtesse star du club Gaia, disparaît dans une mise en scène évoquant l’un des rares serial killers nippons, pourtant exécuté quelques mois auparavant, attirant ainsi sur le quartier les projecteurs du monde entier, le parrain local veut rapidement la peau du coupable. 

Plusieurs enquêtes sont alors menées de front : par la police, bien sûr, mais aussi par le père de Kate, épaulé par Marie, la colocataire française de cette dernière qui lui sert de guide et d’interprète, ainsi que par Yudai, le très charismatique jeune hôte avec lequel Kate entretenait une relation de complicité. Principal suspect de la police, il doit prouver son innocence pour ne pas être désigné par les yakusas auxquels il doit de l’argent et qui voient en lui le coupable idéal qui pourrait mettre fin aux investigations policières. Entre manipulations, mensonges et faux-semblants, les différents acteurs de cette macabre histoire vont progressivement se dévoiler...

Tout le talent de Dominique Sylvain, dans cette histoire, est de parvenir à établir une atmosphère et à dessiner les contours des us et coutumes de la culture japonaise. Sans doute le doit-elle au séjour prolongé qu’elle a effectué dans ce pays, comme le rappelle fort opportunément la quatrième de couverture.
Un polar comme je les aime, qui ne se complaît pas à faire étalage de violence à chaque page, dont l’intrigue repose sur des ressorts psychologiques et dont l’écriture soignée permet au lecteur de plonger dans un univers singulier.


jeudi 1 décembre 2016

Numéro 11

Jonathan Coe

Gallimard, 2016


Traduit de l’anglais par Josée Kamoun


Jonathan Coe au mieux de sa forme !

Ah! Enfin je retrouve Jonathan Coe ! Celui qui me fait vibrer, celui qui provoque chez moi des émotions, de francs éclats de rire ou de vifs sentiments de révolte ! Quelle joie d’avoir lu ce livre !
Pourtant, ce n’est pas sans une certaine appréhension que j’en ai entrepris la lecture. Entre quelques commentaires frileux que j’avais pu découvrir ici ou là et les deux derniers titres de l’écrivain qui m’étaient tombés des mains, je redoutais d’être à nouveau déçue. Mais tant de ses romans m’avaient conquise, par leur veine sociale, leurs personnages attachants et les situations bien campées qu’ils présentaient, que je ne pouvais que lui redonner sa chance. Combien ai-je eu raison de le faire !

Dans ce roman découpé en cinq parties, Coe nous plonge dans cinq univers différents qui ont pourtant un lien entre eux : deux jeunes femmes, Rachel et Alison, avec lesquelles on fait connaissance alors qu’elles sont enfants et que l’on retrouve à différents moments de leur vie. Elles sont amies, elles vont se côtoyer, s’éloigner et se retrouver au fil du roman. 
Mais ces récits ont d’autres points communs. Un certain nombre onze, tout d’abord, qui hante les pages de cette onzième oeuvre de l’auteur. Et puis, surtout, la mise en évidence des pires travers de notre société : surexposition dans les médias et sur les réseaux sociaux; travail clandestin et exploitation de la misère humaine; financiarisation de tous les aspects de l’existence, savoir et sentiments compris... Et surtout, Coe pointe l’accroissement sans borne des inégalités.
Mais ne croyez surtout pas que Coe ait écrit un roman lourdement démonstratif. Ses personnages sont touchants et nous connaissons tout ce qu’il dépeint, qu’il s’agisse des émissions de téléréalité, des difficultés d’accès aux soins médicaux ou des établissements d’enseignement régentés par des exigences de rentabilité. De même, on imagine sans peine le luxe indécent dans lequel peut vivre la petite partie de la population mondiale qui se partage l’essentiel des richesses, dans lequel Rachel va se trouver un temps projetée. Mais le génie de Coe est de présenter tout cela dans un univers cohérent et de parvenir à en montrer l’absurdité et la folie.

Il pose un miroir que l’on voudrait croire déformant sur notre monde pour nous contraindre à en percevoir sa perversion ; un miroir que Rachel va traverser, telle une Alice contemporaine, passant du monde des allocations et des banques alimentaires où elle fait du bénévolat, à celui d’un luxe obscène et effréné, pour devenir la préceptrice des enfants d’un couple richissime, au risque d’y perdre la raison. 
Comme l’héroïne de Caroll, elle finira par revenir au sein de l’univers rassurant qui lui est familier. 
Mais qu’adviendra-t-il de ce monde cruellement inégalitaire dont elle a découvert toutes les facettes ? Connaîtra-t-il finalement une justice immanente ? A chacun de nous, sans doute, de nous interroger en conscience, de sonder chacun de nos actes à chaque moment de notre vie.



C'est moi qui vous le lis ! (4 min 16 sec)