samedi 25 février 2017

Ne parle pas aux inconnus

Sandra Reinflet

Jean-Claude Lattès, 2017



Voilà un livre vers lequel je ne serais sans doute jamais allée sans cette formidable association initiée par l’Insatiable Charlotte : les 68 Premières fois. Destinée, lors de chacune des deux rentrées littéraires annuelles, à aider les primo-romanciers à émerger de la marée de publications en faisant circuler leurs romans parmi des lecteurs avides de s’écarter des chemins balisés par les médias et les prix littéraires, elle permet de sortir de ses petites habitudes. Guetter sa boîte aux lettres, y trouver enfin un soir l’enveloppe tant attendue, l’ouvrir pour découvrir le titre qu’elle contient, tout cela est très excitant. Echanger ensuite son point de vue avec d’autres lecteurs est totalement réjouissant.

Evidemment, les rencontres sont aléatoires. Dans la sélection de cet hiver 2017 se trouve le merveilleux récit de Maryam Madjidi, Marx et la poupée, que j’avais lu avant même d’avoir adhéré à l’association. La barre était donc placée très haut, tant ce texte m’était apparu incroyablement maîtrisé. 
Il est bien plus joyeux de chanter les louanges d’un livre que de révéler une déception, surtout lorsqu’il s’agit d’un premier roman. On imagine en effet à quel point sa réception par le public peut être importante pour l’auteur. Mais c’est le jeu, et je vais donc tâcher d’expliquer en quoi le livre de Sandra Reinflet ne m’a pas convaincue. 

Disons-le d’abord, tout de même, il se lit très facilement. A aucun moment je n’ai pensé que je n’en verrais pas le bout. Sa lecture a au contraire été très rapide. Mais dès le départ, j’avoue avoir été irritée par l’écriture : des phrases brèves, parfois nominales, qui se succèdent à un rythme effréné pour suggérer une urgence, une inscription dans un présent supposément intense, des mots censés exprimer la révolte de l’adolescente. Mais cela m’a paru assez convenu, artificiel, et ne parvenait pas pour moi à masquer une absence de chair, de profondeur du propos. On ne sait rien de ce qui justifie cette rage. Et pour cause, sans doute, au vu de la suite...

On a affaire à une toute jeune lycéenne qui vient d’obtenir son bac. Comme il est assez courant à son âge, Camille rejette le mode de vie de ses parents, et attend de la vie qu’elle comble ses rêves d’artiste en devenir. A la suite d’une déception amoureuse, Camille fugue et traverse l’Europe en stop pour retrouver celle qui a disparu du jour au lendemain et qui ne répond plus à ses appels, pas plus qu’à ses mails ni à ses sms. 
Mais que cette Camille a de la chance ! De Paris à Cracovie, elle ne tombe que sur de bons samaritains qui lui offrent gîte et repas, vêtements neufs, et même à l’occasion un billet d’avion !  Elle voyage avec des camionneurs qui la traitent comme leur petite sœur ! Aussi atteint-elle sa destination sans encombre. Bref, côté crédibilité - et même côté romanesque, à vrai dire - on reste un peu sur sa faim.

Mais ce n’est encore rien à côté de la fin du récit. Sans trop vouloir le déflorer, Camille va, à l’occasion de la survenue d’un événement aussi dramatique qu’inopiné, se rapprocher de sa mère, découvrir son histoire et s’apercevoir qu’elle fut comme elle une adolescente en rupture avec ses parents qui, une fois devenue mère à son tour, tenta - maladroitement - de protéger sa fille des déconvenues qu’elle connut elle-même et qu’offre trop souvent l’existence. Rien que d’assez ordinaire, en somme.
Voilà, Camille a donc fait son apprentissage et peut désormais reprendre ses études et le cours de sa vie, pour devenir à son tour adulte, en essayant toutefois de ne pas perdre entièrement sa fraîcheur et ses rêves d’enfant... (Et comme l’une des rencontres qu’elle a faites au cours de ses pérégrinations lui a permis de commencer à publier ses dessins, tout devrait se passer pour le mieux.) Rien de plus, rien de moins. Finalement, la vie, ce n’est pas si compliqué.

Vous me trouverez sans doute sévère. Mais ceux qui me connaissent savent que je suis assez entière. Mes coups de gueule n’ont d’égal que mes enthousiasmes. Je ne conçois la littérature qu’ainsi, jamais dans la tiédeur. Et je ne doute pas, au vu des premiers commentaires que j'ai pu apercevoir sur le site dédié aux membres des 68 Premières fois, que d'autres lecteurs viendront m'apporter la contradiction !
Il ne me reste qu’à attendre un prochain envoi, avec toujours la même curiosité.


Ceci est ma propre perception du roman, voici les commentaires d'autres lectrices : Joëlle et Sabine



Les 68 Premières fois, sélection de janvier 2017


Elle voulait juste marcher tout droit de Sarah Baruck, Albin Michel 
La sonate oubliée de Christiana Moreau, Préludes
La téméraire de Marie Westphal, Stock 
Les parapluies d’Erik Satie de Stéphanie Kalfon, Joëlle Losfeld 
Marguerite de Jacky Durand, Carnets Nord
Marx et la poupée de Maryam Madjidi, Le Nouvel Attila 
Mon ciel et ma terre de Aure Attika, Fayard
Ne parle par aux inconnus de Sandra Reinflet, Jean-Claude Lattès 
Nous, les passeurs de Marie Barraud, Robert Laffont 
Outre-mère de Dominique Costermans, Luce Wilquin 
Presque ensemble de Marjorie Philibert, Jean-Claude Lattès
Principe de suspension de Vanessa Bamberger, Liana Levi




32 commentaires:

  1. un livre que j'avais repéré chez Joëlle car elle en disait beaucoup de bien...
    en tout cas, 68 premières fois est un concept très intéressant, et qui apporte un brin de fraîcheur dans la Rentrée Littéraire...

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    1. Oui, j'ai vu ton commentaire en allant chercher le lien de Joëlle. Bon, comme tu l'as remarqué, on n'a pas tout à fait le même point de vue sur le livre. Mais c'est aussi ça qui est rafraîchissant ! Alors, tu te joins à nous pour la prochaine rentrée ? ;-)

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    2. Bien entendu, tu te joins à nous l'année prochaine, Eva! (ce n'est même pas écrit sous forme interrogative, tu as vu...)

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  2. Jusqu'à présent, je n'ai plutôt vu que des billets élogieux sur ce roman. Le tien est le premier plus tiède. C'est vrai que traverser une partie de l'Europe sans anicroche, ça paraît peu probable.

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    1. Non seulement sans anicroche - on n'est pas non plus obligé de se faire violer ou égorger dès qu'on fait du stop - mais là, c'est l'excès inverse. Mais au-delà de cet aspect, c'est le côté un peu simpliste du roman d'apprentissage qui m'a fait réagir.

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  3. Ma grosse sympathie pour l'auteur (que je connais surtout en tant que photographe) me donne envie de le lire, on verra (j'ai du mal avec les phrases courtes, quand même)
    L'auteur (avec une copine, pas seule!) a fait de l'auto stop dans des coins paumés aussi et en est revenue... Elle a tenu un blog de l'aventure.

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    1. Comme je le disais à Aifelle, entre faire de mauvaises rencontres et tomber systématiquement sur des personnes qui vous ouvrent la porte de chez elles, vous offrent des nuitées d'auberge, vous offrent les repas, des vêtements et même jusqu'à un billet d'avion, là, je tique.
      Et puis, je ne connais pas l'auteur contrairement à toi. Mais peut-être avait-elle un projet particulier en partant faire du stop avec une copine - d'où le blog. Là, il s'agit d'une ado en rupture, très en colère, pour finalement rentrer bien tranquillement à la maison et renouer avec sa mère dont elle rejetait pourtant violemment le mode de vie. Le tout-est-bien-qui-finit-bien m'a franchement irritée, je l'avoue.

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  4. Cela fait plaisir que lire tes avis parmi les "68" qui me semblent souvent un peu trop systématiquement enthousiastes (je ne vais pas me faire que des amis, là). Je comprends qu'il faut encourager les jeunes auteurs, mais on ne peut pas tout aimer également...

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    1. Ecoute, c'est une première pour moi. Je découvre donc les avis dans le cadre des 68, je verrai bien.
      Je trouve la démarche tout à fait intéressante et pertinente. Après, cela ne doit en rien entamer notre sens critique de lecteur. Il faut encourager les jeunes écrivains, mais pas être lénifiant. Ce qui importe, c'est d'expliquer pourquoi on n'a pas apprécié un livre - et pourquoi on l'apprécié aussi, d'ailleurs. Quoi qu'il en soit, aucun livre ne satisfait tous les publics, et d'autres lecteurs sont là pour apporter un autre point de vue, parfois complètement opposé ! Et c'est ça qui est bien ;-)

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    2. je réagis en tant que "68" Kathel pour te dire que tu te trompes, il y a des avis complètement contradictoires dans le groupe.
      L'année dernière il y a eu des échanges passionnés et même assez vifs sur certains livres (Garde corps, Morosphinx, Notre chateau entre autres...), ce n'est peut-être pas assez visible de l'extérieur car certains ne font pas de chroniques quand ils n'aiment pas (ce que je trouve regrettable...

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    3. Merci pour cet éclairage, Joëlle. Et puis c'est vrai que tout le monde n'a pas de blog. Certaines discussions se déroulent sur le groupe privé des 68.

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    4. Merci de vos réponses. Effectivement, de l'extérieur, ça ne se voit pas forcément, on remarque plutôt les billets enthousiastes.
      Mais je peux comprendre, moi non plus, je n'écris pas toujours de billets sur les livres que j'ai abandonnés ou peu aimés. ;-)
      C'est toujours intéressant de lire des premiers romans et des avis les concernant...

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  5. Je te rejoins sur deux de tes critiques Delphine: le style du départ (le tout début en fait...)m'a vraiment effrayée mais je suis surprise que tu n'évoques pas le changement de style ensuite que pour ma part j'ai trouvé très beau... Ce style du début se justifiait, selon moi, par le sujet évoqué en tout début de livre

    Deuxième point négatif : les rencontres qu'elle fait lors de son voyage, j'ai parlé de "monde des bisounours"...C'est vrai que c'est mon petit bémol par rapport à ce livre qui au final m'a émue à un point que tu ne peux pas imaginer... Il a certainement remuée en moi des choses très personnelles...

    En tout cas c'est super d'avoir un avis contradictoire (je l'ai inséré à la fin de mon article) et contrairement à ce que dit Kathel, on est loin d'être toujours d'accord dans ce groupe et c'est parfait!!!

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    1. C'est vrai que par la suite, les phrases ralentissent un peu le rythme. Le texte devient alors plus dialogué, mais le style ne m'est pas apparu particulièrement travaillé pour autant. En tout cas, je n'y ai pas été sensible. A aucun moment je n'ai été touchée par ce personnage, comme par aucun autre, d'ailleurs (sans parler de celui du père, d'une grande pauvreté).
      J'apprécie en tout cas que tu entendes mes réserves à l'égard de ce livre que tu as aimé. Et comme tu le soulignes à très juste titre, on reçoit un livre avec ses propres sentiments, expériences, souvenirs etc. Il est donc normal que d'un lecteur à l'autre on puisse avoir un regard et une émotion différents.

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    2. Tu sais j'adore les débats contradictoires, rien n'est plus triste que les échanges où tout le monde est d'accord...

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  6. L'année dernière, en suivant de près les 68 premières fois, sans y participer, j'ai fait de belles découvertes. Effectivement, jusqu'à présent je n'ai lu que des avis positifs sur ce livre. Je trouve vos échanges très intéressants donc je note ce titre pour me faire ma propre opinion.

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    1. C'est encore ce qu'il y a de mieux, Edyta ! On attend tes impressions avec impatience ;-)

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    2. Très bonne idée Edyta, hâte de lire ton avis !

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  7. Comme écrit sur la page facebook des 68, j'ai beaucoup aimé ta chronique. Il est vrai qu'il est intéressant de confronter nos points de vue, qu'ils soient identiques ou différents. Et tes arguments sont parfaitement présentés. J'avoue, humblement, avoir beaucoup de mal à réaliser une chronique négative parce que de par mon éducation j'ai tendance à toujours voir le côté positif de quelqu'un ou de quelque chose et que j'ai du mal à faire mal. Au plaisir de lire à nouveau.

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    1. En fait il ne s'agit en aucun cas de "faire mal", mais d'expliquer la manière dont on a reçu un livre. Je ne connais pas beaucoup de lecteurs qui aiment tous les livres qu'ils lisent. Ou alors, qu'ils me donnent la recette pour les choisir à coup sûr ! ;-)

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  8. De mon côté cela s'est avéré une lecture agréable et facile mais décevante dans le sens où j'ai eu l'impression que l'auteure passait un peu à côté de son sujet par excès d'optimisme (de naïveté ?); j'ai eu une étincelle d'intérêt au moment où on a l'impression que son apprentissage de l'Europe sur le terrain allait enfin virer au réalisme mais malheureusement on est vite retombé dans la facilité. Je comprends néanmoins qu'il puisse émouvoir, en fonction du vécu de chacun mais pour moi cela n'a pas été le cas.

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    1. Une lecture facile, en effet, et pas désagréables, certes. Je trouve aussi que l'auteur passe à côté de son sujet. C'est pourquoi tu n'as pas écrit de billet (pour revenir à la question amplement posée sur le groupe des 68 ?) ;-)

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    2. Effectivement... J'en écrirai peut-être un plus tard mais ce n'était pas une priorité. En fait, même au sein du comité de sélection il n'y a pas toujours unanimité (même si on est d'accord sur 90% en général), il y a donc parmi les 12, 2 ou 3 titres que l'une ou l'autre d'entre nous ne défendait pas (en fait chacune a le sien :-)). Ce qui ne les empêche pas de faire le bonheur de plein de lecteurs donc je crois que nous avons raison de ne pas chercher l'unanimité à tout prix. L'an dernier on a lancé le blog assez tard du coup j'ai fait des compilations un peu rapides ; cette année je vais essayer de mieux refléter les différents avis quitte à être moins exhaustive.

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  9. Tu es sévère mais rien n'est gratuit, tu exprimes clairement ton point de vue, c'est de loin le plus important.

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    1. C'est le moins que l'on puisse faire. Surtout lorsqu'on exprime une déception.

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  10. Il en faut pour tous les goûts et j'apprécie beaucoup ton honnêteté! Tout ne peut pas toujours toucher le lecteur, ça va, ça vient... C'est très personnel un lecture.

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    1. Merci Laeti. C'est pour ça que je renvoie aussi vers des avis divergents.

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  11. C'est le jeu les déceptions, je suis persuadée que tu feras d'autres très belles découvertes dans cette sélection ! Quant à ce roman, je n'en ferais pas une priorité mais sait-on jamais...

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    1. Je n'ai aucun doute là-dessus. D'ailleurs, ma toute première lecture, Marx et la poupée, en témoigne.

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  12. Bon, je passerai mon tour alors... :)

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    1. Personnellement, je pense qu'il y a en effet mieux à lire...

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  13. Je te rejoins sur pas mal de points, j'ai trouvé ce roman inégal.

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